07/04/2025
Pouvoirs intériorisés : sortir des rôles, retrouver la relation.
On parle souvent du patriarcat comme d’un système extérieur, social, visible.
Mais en thérapie, il se révèle autrement : comme un système intériorisé, un ensemble de réflexes, de postures, d’automatismes incorporés. Il se joue dans la manière de se tenir, de donner, de décider, d’aimer ou de se taire.
Et face à lui — ou plutôt, en miroir — existe aussi une forme de matriarcat intérieur, souvent plus silencieuse, mais tout aussi structurante : affective, fusionnelle, nourricière, parfois sacrificielle.
Ces deux systèmes ne sont pas limités aux genres.
Ils traversent tous les individus, quel que soit leur sexe ou leur histoire.
Ils sont les héritages de générations, de survies, de stratégies adaptatives.
Ils se rejouent dans le couple, la famille, le travail, le soin, la séduction, la prise de décision, la parentalité, le collectif.
Et souvent… dans la manière dont on cherche à s’en libérer.
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1. Le patriarcat intérieur : tenir, prouver, contrôler
Le patriarcat intériorisé se manifeste par :
• La performance comme condition d’estime,
• La maîtrise comme sécurité,
• Le rôle comme identité.
Il pousse à “tenir bon”, à réussir, à assurer. On veut être fort, fiable, solide.
Mais derrière cela se cache souvent une peur ancienne :
Et si je ne suffisais pas ? Et si je n’étais pas aimé sans fonction ?
Alors on devient ce partenaire distant, ce collègue irréprochable, ce père silencieux — alors qu’au fond, on cherche à être vu, aimé, touché.
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2. Le matriarcat intérieur : prendre soin, fusionner, s’effacer
Le matriarcat intériorisé s’ancre dans :
• Le besoin d’exister à travers le lien,
• Le réflexe de se sacrifier,
• La capacité à sentir, deviner, absorber.
On se rend indispensable. On prend sur soi. On s’efface pour que le lien tienne.
Mais ce don n’est pas neutre. Il attend quelque chose en retour.
Et quand il n’y a pas de retour, le chagrin devient rancœur, la douceur devient reproche.
On a appris à aimer en donnant tout — en espérant que ce “tout” serait vu, reconnu, honoré.
Et parfois… on s’oublie en espérant être choisi.
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3. “Je te donne tout… reconnais-moi” : le cri silencieux
Cette phrase habite beaucoup de relations :
“Je te donne tout… reconnais-moi.”
Elle contient :
• Un geste d’amour,
• Une attente cachée,
• Une blessure ancienne.
Elle dit l’enfant intérieur qui a appris qu’il fallait donner, s’adapter, se rendre utile pour être aimé.
Et quand la reconnaissance ne vient pas, la douleur surgit :
• Injustice,
• Fatigue,
• Retrait,
• Amertume.
Et parfois, l’autre ne comprend pas : car il ne sait pas qu’un contrat invisible a été passé.
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4. L’analyse transactionnelle : qui parle en moi ?
Ce type de lien n’est pas régulé par notre Adulte. Il est souvent dirigé par :
• Notre Enfant (qui veut être choisi, aimé, rassuré),
• Ou notre Parent (qui protège, qui juge, qui prend en charge).
Dans la relation, cela crée des transactions croisées :
• L’un donne pour éviter d’être abandonné,
• L’autre se sent contrôlé, puis se retire,
• L’un parle depuis sa blessure,
• L’autre répond depuis sa peur.
Et la scène se rejoue. Encore.
Sans que personne ne sache vraiment pourquoi.
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5. Dans la parentalité, le couple, le travail : mêmes scénarios, autres formes
• Le père “qui assure” mais se sent inutile émotionnellement.
• La mère “qui fusionne” et s’épuise dans le lien avec l’enfant.
• Le partenaire qui surfonctionne dans le soin, sans jamais être reconnu.
• Le professionnel qui donne tout, mais n’est jamais valorisé.
• La séduction douce qui cherche un amour inconditionnel, mais rencontre l’indifférence.
Chacun agit pour garder le lien, mais parfois s’y enferme.
Et plus on fait d’efforts, plus on attend.
Et plus on attend, plus on risque d’être blessé.
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6. L’effort comme monnaie affective
L’effort devient une manière d’aimer.
Le sacrifice, une tentative d’obtenir l’amour ou la reconnaissance.
Et peu à peu, le lien devient transaction :
• Je fais tout ça, donc tu dois m’aimer.
• Je me rends utile, donc tu dois me choisir.
• Je me tais, donc tu dois deviner.
Mais la reconnaissance attendue ne vient pas toujours.
Parce que l’autre ne sait pas. Parce qu’il ne vit pas la même scène intérieure.
Et alors… le lien se transforme en dette.
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7. Sortir du contrat silencieux : revenir à l’Adulte
Revenir à soi, c’est pouvoir dire :
• “Je crois que j’attends quelque chose de toi sans te le dire.”
• “Je donne pour être aimé, et j’ai peur de le reconnaître.”
• “Je sens que je te parle comme si tu étais mon parent ou mon enfant.”
Ce n’est pas se corriger. C’est se révéler.
Et à partir de là, revenir au lien vivant, libre, ajusté, incarné.
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8. Recréer du lien : co-protection, co-décision, co-construction
La seule sortie durable de ces jeux de pouvoir intérieurs, c’est la relation consciente, basée non sur la dette, mais sur la responsabilité mutuelle.
Co-protection
Veiller l’un sur l’autre, sans se rendre indispensable.
Être là, sans dominer, sans s’effacer.
Créer un lien qui rassure sans enfermer.
Co-décision
Revenir, à chaque pas, à ce qui est important pour moi… et pour toi.
Identifier nos accords possibles, même partiels.
Ne pas imposer ni renoncer : ajuster ensemble.
Co-construction
Créer un espace commun, mouvant, imparfait mais sincère.
Sortir des modèles hérités. Tenter. Ajuster. Créer.
Faire de la relation un espace vivant — non un rôle à tenir.
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Conclusion : un pouvoir de présence
Ce texte ne cherche pas à accuser. Ni à trancher.
Il cherche à mettre en lumière des mouvements intérieurs qui gouvernent souvent nos relations sans que nous le sachions.
Le patriarcat et le matriarcat intérieurs ne sont pas des fautes.
Ce sont des formes d’ajustement, de survie, de loyauté.
Mais aujourd’hui, nous pouvons les reconnaître, sans les subir.
Et choisir un autre pouvoir :
non pas celui de tenir ou de sauver,
mais celui d’être là, simplement, avec, en lien.
Un pouvoir de présence, qui ne cherche ni à plaire, ni à convaincre,
mais qui ose rencontrer l’autre depuis un lieu vrai.
Et c’est peut-être ça, au fond, la transformation.