20/07/2024
« La promotion de la santé au bord du précipice
(tiré de Robbins, 1996, pp. 1-2)
Il était une fois un grand et riche pays où les gens ne cessaient de tomber d’une falaise abrupte. Ils tombaient jusqu’à la base de la falaise et se blessaient, parfois assez gravement, et beaucoup d’entre eux mouraient. Le corps médical du pays a réagi à cette situation en plaçant, au pied de la falaise, l’ambulance la plus sophistiquée et la plus chère jamais conçue, qui pouvait immédiatement transporter les personnes tombées vers des hôpitaux modernes équipés des dernières technologies. Aucune dépense n’était trop importante, disait-il, lorsque la santé des gens était en jeu.
Or certaines personnes se sont mises à penser qu’une autre possibilité serait d’ériger une clôture au sommet de la falaise. Mais lorsqu’elles ont émis cette idée, elles ont été ignorées. Les ambulanciers n’étaient pas particulièrement enthousiastes à l’idée, tout comme les fabricants d’ambulances et les personnes qui gagnaient leur vie dans le secteur hospitalier et jouissaient de son prestige. Les autorités médicales ont expliqué patiemment que le problème était beaucoup plus complexe que les gens ne le pensaient, que si la construction d’une clôture pouvait sembler une idée intéressante, elle était en fait loin d’être pratique, et que la santé était trop importante pour être laissée entre les mains de personnes qui ne sont pas des experts…
C’est ainsi qu’aucune clôture n’a été construite et, au fil du temps, cette nation s’est retrouvée à consacrer une part toujours plus importante de ses ressources financières aux hôpitaux et aux équipements médicaux de haute technologie… Comme les coûts de traitement des personnes ne cessaient d’augmenter, un nombre croissant de personnes ne pouvaient pas se payer des soins médicaux.
Plus le nombre de personnes tombant de la falaise augmentait, plus un sentiment d’urgence et de tension se développait, et plus l’argent du pays était investi dans la recherche héroïque d’un médicament qui pourrait être administré aux gens qui étaient tombés, pour soigner leurs blessures. Lorsque certaines personnes se sont demandées si l’on parviendrait un jour à trouver un remède, le milieu de la recherche a répondu par une vaste campagne de relations publiques montrant des hommes en blouse blanche tenant les corps brisés d’enfants tombés, suppliant : « Ne nous abandonnez pas maintenant, nous y sommes presque. »
Lorsque quelques familles qui avaient perdu des êtres chers ont essayé d’ériger des panneaux d’avertissement au sommet de la falaise, elles ont été arrêtées pour intrusion. Lorsque certains des médecins les plus éclairés ont commencé à dire que les autorités médicales devraient avertir publiquement les gens que les chutes de la falaise étaient dangereuses, les représentants d’industries puissantes les ont dénoncés comme étant la « police de la santé ». Enfin, après de nombreux compromis, le corps médical [a émis] des avertissements. Toute personne, disait-il, qui s’était déjà cassé les deux bras et les deux jambes lors de chutes antérieures devait faire preuve de la plus grande prudence au moment de leur chute»
Extrait de :
Gestion des soins de santé: Déboulonner les mythes
Henry Mintzberg ;