
07/07/2025
Ducati 350 Desmo.
La toute première.
18 ans.
Pas d’assurance.
Rien que le feu.
Pas de protections.
Le vent dans les veines, la route en offrande, et cette sensation d’être exactement là où ça vit.
Le bonheur d’être libre.
Le bonheur d’être plein.
Le bonheur d’être bête et vivant, dans un monde sans balise.
Et puis : l’accident.
Un virage.
Trop vite.
L'autre.
Et le corps qui quitte le sol.
Suspendu dans l’espace, le temps s’arrête.
On ne tombe pas encore.
On flotte, un peu.
Puis le retour.
Violent.
Sec.
L’asphalte entre dans l’épaule.
Le bruit est sourd.
Le casque vole.
Le silence plus fort.
La mort loupe son coup.
Hôpital.
Lumières crues.
Peau déchirée.
Pas de fracture, mais une cicatrice qui parle encore.
Et derrière :
le tribunal.
Condamné.
Les papiers.
La dette.
La honte.
Le prix du réel.
Début de vie à crédit.
Sans assurance, ça prends cher.
Tu transgresses à toi tout les torts.
Une dette dans la peau.
Mais debout.
Toujours debout.
Toujours en route.
Toujours à chercher non pas la fuite — mais l’ajustement.
Le lien juste.
Avec la matière. Avec la voie. Avec la trace.
Ce n’est pas la moto qu’on chérit.
C’est ce qu’elle révèle.
Ce qu’elle traverse.
Ce qu’elle brûle.
Certains parlent “d’attachement”.
De matière.
De distraction.
Mais il n’y a pas de séparation.
Le réservoir est spirituel.
L’épaule marquée est spirituelle.
Le silence après le choc est un temple.
Tout est traversé.
Tout est traversable.
Et parfois, on les voit.
Ceux qu’on appelle “maîtres”.
Non pas comme des statues.
Mais sur la route.
Taisen Deshimaru roule en Yamaha XS650.
Rien de clinquant.
Un deux-cylindres, rugueux, fiable.
Posture droite, regard fixe.
Il ne commente pas.
Il roule.
Le souffle est l’enseignement.
Maître Dōgen traverse les montagnes japonaises en Triumph Bonneville T120, sobre, souple, ancienne et noble.
Gants en cuir noir.
Silence total.
Chaque virage est un chapitre du Shōbōgenzō.
Chaque ralentissement : “ni gain, ni perte.”
Thich Nhat Hanh roule doucement sur une Honda Super Cub 90cc, moteur léger, sandales aux pieds.
À chaque feu rouge, il s’arrête.
Et il respire.
Rien ne presse.
Tout est invitation.
Arnaud Desjardins chevauche une BMW R75/5, grise, solide, parfaitement entretenue.
Un oui d'avance en tête.
Un souffle long.
Il ne discourt pas.
Il trace, sobrement, précisément, comme il a toujours fait.
Lee Lozowick
Lui, il descend le désert américain sur un Harley-Davidson FXR de 1984.
Sacoches molles.
Guidon haut.
Santiags râpées.
Une cigarette collée au coin des lèvres, un mala autour du poignet, et un poème obscène dans la poche arrière.
Et alors?
Il rit.
Il roule.
Il brûle.
Il enseigne en diagonale.
Et tous, chacun à leur manière, disent la même chose :
ne sépare pas.
Ne coupe pas.
Ne classe pas.
Le coussin n’est pas supérieur au réservoir.
Le dojo n’est pas plus noble que le désert.
Le souffle qui précède le choc est le même que celui qui s’élève dans l’assise.
Tout est là.
La route.
La chute.
La dette.
La douleur.
La reprise.
La pratique.
La joie.
Tout est spirituel.
Quand on ne fuit pas dans la fiente molle des paroles de lumières sacrés sucrées.