
21/06/2025
J’ai vécu un atelier particulièrement fort avec les enfants. On poursuit mon kit sur « oser se tromper » et nous travaillons sur le lien entre réussite et progression.
Nous faisions une activité où chacun devait identifier les émotions qu’il ressentirait dans différentes situations : réussir du premier coup, réussir après dix essais, demander de l’aide, apprendre à lire plus t**d que ses camarades…
Et une émotion est revenue plusieurs fois : la honte.
La honte, parce que souvent, derrière la réussite ou l’échec, surgit la comparaison aux autres.
Et derrière la comparaison, la peur d’être jugé.
Le pire pour eux ? Être moqué.
Prenons l’exemple très parlant qu'on a utilisé :
« Quand on apprend à lire plus t**d que les autres, on a honte. Honte d’être en ret**d, d’être perçu comme un bébé. Honte qu’on se moque de nous. »
Cette honte devient alors paralysante.
Ils me disent :
« Quand t’as honte, t’as envie de te cacher. Surtout pas te faire remarquer. »
Mais comment avancer, apprendre, progresser… si on se cache ?
Alors je leur propose d’inverser la situation :
« Diriez-vous à quelqu’un : tu devrais avoir honte de ne pas savoir lire ? »
Évidemment : non.
D'où vient qu'on ne se parle pas de la même manière qu'on parle aux autres ?
Alors d’où vient cette honte ? Est-elle utile ?
Nous avons cherché ensemble.
La honte peut parfois nous signaler qu’on a franchi une limite qu’on s’était fixée, qu’on a blessé quelqu’un, qu’on doit réparer une faute.
Dans ce cas, elle a une utilité.
Mais dans d’autres cas — comme celui de l’apprentissage — elle devient un poison inutile.
Et surtout, où doit-on placer la honte ?
Est-ce celui qui apprend plus lentement qui doit avoir honte ?
Ou celui qui se moque de la difficulté de l’autre ?
À ce moment-là, j’ai vu chez eux une sorte de soulagement :
« C’est vrai… Ce n’est pas à moi d’avoir honte. C’est à celui qui se moque d’avoir honte de son comportement. »
Et si la personne qui se moque ressentait cette honte-là, elle pourrait prendre conscience de ses actes, changer son comportement.
La honte n’est pas toujours à rejeter : elle doit simplement être à sa juste place.
Nous avons poursuivi la discussion sur une autre situation :
Demander de l’aide, est-ce une faiblesse ?
Pour l’un des enfants, c’était oui.
Il donne un exemple (et c’est essentiel d’aller chercher des exemples, car c’est là qu’on accède vraiment au sens de leurs mots qu'ils ne parviennent pas à exprimer sous forme conceptuelle ou sous forme d'argument) :
« Par exemple, pendant un contrôle, demander les réponses à quelqu’un d’autre, c’est tricher. »
Je lui demande alors : « Demander de l’aide et demander les réponses, est-ce la même chose ? »
Il ne répond pas, mais tout le monde lève la main.
Je demande aux autres : ça veut dire quoi aider quelqu'un pour vous?
Et ils expliquent que aider ça veut dire accompagner, montrer comment on fait. Et je dis : « pour votre camarade, aider c'est comme si c'était faire à la place des autres. »
À ce moment-là, je le vois se cacher derrière ses mains.
Il se tait.
Alors je lui dis, doucement :
« Il se passe quelque chose en toi. Dis-moi si je me trompe : tu as donné une réponse, je t’ai posé une question, et tu te dis que ta réponse n’est peut-être pas juste, en tout cas tu en doutes. Et là, tu ressens de la honte. J'ai raison ?
- Non (les mains cachent encore plus son visage)
- Tu es sûre ? En tout cas il y a des émotions qui te traversent.
- Oui en fait j'ai honte.
Il éteint sa caméra.
Je lui dis alors :
« Prends un moment pour reprendre tes esprits. Je vais te demander de dire à ta honte de ne pas te parler pendant un petit moment. Peut-être qu'elle essaye de te raconter une histoire et te dire des choses désagréables pour toi, alors je vais parler à ta honte et à toi, essayez de m'écouter. »
Et je lui montre que son exemple nous AIDE à mieux comprendre le sujet :
« Qu’est-ce que ça veut dire demander de l’aide ? Car pour moi et pour les autres, ça semblait évident que c'était autre chose. Or, on ne s'était même pas demandé ce que ça voulait dire. C'est uniquement avec TA réponse que je me suis rendue compte que peut-être on avait besoin de savoir ce que ça voulait dire.
Je propose des exemples :
Parfois, aider c’est faire pour l’autre :
Mon fils veut attraper un paquet de gâteaux en hauteur, je vais lui donner le paquet. Donc oui, tu as raison, aider l'autre ça peut être faire à sa place.
Parfois, c’est faciliter l’accès :
S’il ne peut pas porter la chaise pour monter, je vais déplacer la chaise pour lui.
Mais parfois, c’est accompagner sans faire à sa place :
S’il me demande de l’aide pour un exercice de maths, je vais l’aider à réfléchir, à chercher, mais sans lui donner directement la réponse.
Et toi, tu as précisé que si on te demande de l'aide en demandant les réponses à l'exercice, c'est de la triche, c'est une faiblesse. Tu nous aides à voir que c'est moins simple que ce qu'on croyait, et à préciser nos idées. Tu as entendu ? Tu nous as aidé. »
À ce moment-là, il rallume sa caméra.
La honte s’était dissipée car, lui ai-je dis, ta remarque nous aide tous à penser une idée qui nous semblait évidente, et à y regarder de plus près, c'est pas si évident que ça.
Nous avons alors poursuivi notre réflexion sur le fonctionnement de la honte :
Souvent, c’est une pure fabrication de notre esprit.
Une histoire qu’on se raconte parce qu’on se compare, ou parce qu’une situation actuelle ravive une souffrance passée qu’on cherche à éviter à tout prix (comme la peur du regard des autres, de la moquerie).
La honte existe. Mais elle n’a de pouvoir destructeur que si on la laisse s’installer au mauvais endroit. Avoir honte est utile si ça nous aide à améliorer notre comportement. Attention à ce que la honte ne se trouve pas dans le mauvais camp.