24/11/2025
Le viol conjugal chez les adolescentes
« Si tu n’as pas envie, tu te forces, parce que moi j’en ai envie »
Une violence que l’on ne sait même pas nommer
Elles ont 14 et 16 ans. Elles sont en troisième, en lycée technologique ou à la fac. Elles croient vivre leur premier grand amour. En réalité, elles subissent des viols répétés de la part de leur compagnon. Et la plupart ne le comprennent que des années plus t**d.
Capucine : « Je devais être à sa disposition »
Capucine a 14 ans quand elle tombe follement amoureuse d’un garçon plus âgé, en internat à Saint-Nazaire. Les débuts sont idylliques. Puis la mécanique s’installe.
« Il ne supportait pas la frustration. Il me disait : “Si tu n’as pas envie, tu dois te forcer, parce que moi j’en ai envie.” »
Quand elle refuse, il boude pendant des heures, la menace de rompre, devient agressif. Il la punit : elle doit rester au pied du lit, sans oreiller, sans couverture, sans rien, jusqu’à ce qu’elle « change d’avis ».
« J’étais épuisée, je finissais toujours par céder pour avoir la paix. »
Trois ans durant, Capucine vit cela. Trois ans sans jamais entendre le mot « viol ». Pour elle, un viol, c’est une inconnue agressée la nuit dans une ruelle sombre. Pas son petit copain qui l’aime.
Même en pleine vague , elle ne fait pas le lien. Les campagnes de prévention montrent des femmes plus âgées, mariées, avec un œil au beurre noir. Rien qui ressemble à une ado en couple.
Clémentine : « Je me suis figée »
Le 4 décembre 2016, Clémentine a 16 ans. C’est son anniversaire. Son copain de 18 ans, avec qui elle est en relation à distance depuis cinq mois, vient enfin la voir. L’après-midi est parfait : marché de Noël, petits cadeaux, photos. Le soir, les parents partent travailler. Ils se retrouvent seuls.
Depuis des mois, il la presse : « Les couples, ça doit le faire. » Elle répète qu’elle n’est pas prête. Ce soir-là, il tranche : « On le fait. »
« Il a commencé à me déshabiller. Je me suis figée. Je n’ai pas bougé, j’ai eu très mal, j’étais comme hors de mon corps. »
Ensuite, elle se sent « extrêmement sale ». Elle reste une heure sous la do**he à se frotter. Au moment de dormir, elle se colle tout au bord du lit, le plus loin possible de lui.
Cette scène se répétera tout au long de leur relation d’un an. Clémentine la résume aujourd’hui d’une phrase qui glace le sang : « Un bouquet de fleurs pour une claque. »
Une violence que l’on ne sait pas voir
Une enquête du collectif NousToutes (février 2020, plus de 96 000 répondantes) est accablante : une femme sur six a fait ses premiers pas dans la sexualité par un rapport non désiré et non consenti.
Louise Delavier, directrice des programmes de l’association En avant toute(s), l’explique simplement :
« Les adolescentes sont particulièrement vulnérables. C’est souvent leur première relation, elles n’ont aucun repère sur ce qui est sain ou non. Tout ce que fait leur copain est vu comme normal, surtout s’il est plus âgé et a déjà eu des expériences. »
Sur le tchat anonyme « Comment on s’aime », les messages arrivent par centaines :
« Est-ce que c’est normal ce que je vis ? »
« Il dit que tous les couples font des fellations tous les matins, c’est vrai ? »
« Je finis toujours par accepter parce qu’il boude sinon, je suis trop sensible ? »
Les écoutantes posent alors les mots que les jeunes filles n’osent pas dire : viol, contrainte, chantage affectif, pression.
L’école absente
La loi du 4 juillet 2001 impose pourtant trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle dans tous les collèges et lycées.
Dans les faits ?
Clémentine : « J’ai eu un seul cours au collège : un prof a mis un préservatif sur une banane. Rien sur le consentement, rien sur le viol. »
C’est seulement des années plus t**d, lors d’un cours de psycho à l’université sur le viol conjugal, qu’elle a fondu en larmes et quitté la salle.
Les conséquences invisibles
Les séquelles sont immenses :
- Clémentine n’a plus approché un garçon pendant cinq ans. Au début de sa relation actuelle, elle paniquait dès qu’on la touchait.
- Capucine a mis des années à comprendre qu’elle n’était pas coupable.
Elles transforment leur douleur en lutte
Aujourd’hui, elles refusent le silence :
- Clémentine parcourt les lycées de son département pour parler consentement et violences. « Beaucoup de filles me demandent si ce qu’elles vivent est normal et si elles peuvent porter plainte. »
- Capucine anime le compte Instagram (près de 120 000 abonnés) avec des vidéos pédagogiques sur les violences sexuelles et la culture du viol.
Le consentement n’est pas négociable
Comme le dit Clémentine : « J’ai eu de la chance d’être tombée plus t**d sur un homme doux et patient. »
Avoir « de la chance » pour ne pas être violée par son compagnon.
Voilà où nous en sommes.
Tant qu’on continuera d’éduquer les filles à « faire plaisir » et les garçons à penser qu’un « non » est une invitation à insister, le viol conjugal restera cette violence ordinaire, quotidienne, qui détruit des milliers d’adolescentes avant même qu’elles entrent dans la vie adulte.
Il est urgent que l’école, les familles, les médias, la société entière cessent de fermer les yeux.
Le consentement enthousiaste n’est pas un luxe.
C’est un droit fondamental.
Et il commence dès le premier ba**er.
Ressources d’urgence
- Tchat « Comment on s’aime » (En avant toute(s)) : anonyme, gratuit – lundi-jeudi 10 h-minuit, vendredi-samedi 10 h-21 h
- Viols femmes info : 0 800 05 95 95 (anonyme et gratuit)
- Violences femmes info : 3919 (24 h/24, anonyme et gratuit)
Source : 20 minutes
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