06/04/2024
Il pensait peut-être que personne n'allait tomber sur ce document, mais quelqu'un me l'a envoyé... Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, vient d'autoriser l'utilisation de l'Avanza, un herbicide très toxique pour les organismes aquatiques, en temps normal interdit en France. Et ce produit sera utilisé... dans les rizières de Camargue !
On commence à avoir l’habitude des mauvaises idées de Marc Fesneau, qui se vante de dire du bien des pesticides et qui défend systématiquement l’agro-industrie. Mais alors là… il arrive quand même à nous surprendre !
Il y a quelques jours, on m’a envoyé un document officiel, émanant du ministère de l’Agriculture. Il s’agit d’une autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire, l’Avanza. Cet herbicide, fabriqué avec la subtance active benzobicyclon, est en temps normal interdit en France. Le benzobicyclon n’est d’ailleurs pas encore homologué au niveau européen. Mais l’État a décidé d’accorder une dérogation pour permettre son utilisation du 15 mars au 11 juillet.
L’Avanza est conçu pour tuer les mauvaises herbes dans les cultures de riz, et il a été autorisé sur demande des riziculteurs de Camargue. Le problème ? Cet herbicide est classé “très toxique pour les organismes aquatiques” et entraîne “des effets néfastes sur le long terme”. Or, il doit être appliqué dans des rizières inondées, où vivent justement des organismes aquatiques, comme les grenouilles.
Pire encore : l’eau des rizières s’écoule ensuite dans le réseau hydraulique de la Camargue et l’Avanza risque donc de contaminer cet écosystème très fragile classé Natura 2000. Consciente de la dangerosité de son produit, la firme agro-chimique qui fabrique l’Avanza demande que les rizières ne soient pas purgées dans les 7 jours suivant l’utilisation de l’herbicide, pour que la molécule se dilue dans l’eau avant de rejoindre le milieu naturel.
Sauf qu’en réalité, les rizières ne sont jamais 100% étanches. J’ai longuement échangé à ce sujet avec Bernard Poujol, qui a été riziculteur en Camargue pendant 45 ans. Il a géré un domaine de 1000 hectares en conventionnel avant de passer en bio car il voyait “toute la faune sauvage disparaître” et qu’il “culpabilisait”. Il a ensuite produit du riz bio durant deux décennies, en utilisant des canards pour désherber naturellement ses rizières, avec un rendement tout à fait comparable à la riziculture conventionnelle.
Bernard m’a expliqué que les fuites des rizières vers le réseau hydraulique sont inévitables, notamment à cause des trous réalisés par les ragondins ou les écrevisses américaines. Il m’a dit qu’il n’avait jamais connu une seule année sans fuite, y compris pendant les périodes de traitement, avant qu’il soit installé en bio. En Camargue, il y a d’ailleurs des hommes dont le travail consiste spécifiquement à faire le tour des rizières pour colmater les fuites.
Selon Bernard, prétendre que les rizières peuvent être totalement étanches et retenir les produits phytosanitaires comme l’Avanza à l’intérieur des parcelles, est un mensonge. Il y a donc un risque que cet herbicide, rappelons-le “très toxique pour les organismes aquatiques”, se retrouve dans les cours d’eau et les étangs de Camargue, avec les conséquences que l’on peut imaginer sur la faune sauvage.
Et au-delà de l’impact direct sur tous les animaux qui vivent dans l’eau, l’Avanza pourrait aussi menacer la flore naturelle camarguaise. Après tout, ce produit est fabriqué pour tuer des plantes… J’ai discuté au téléphone avec le directeur de la réserve nationale de Camargue, Gaël Hemery, qui s’inquiète notamment pour le célèbre étang du Vaccarès, qui est déjà en très mauvais état de conservation.
“Depuis 12 ans, on fait des analyses d’eau tous les mois entre avril et septembre pour rechercher la présence de 700 molécules, précise Gaël. On trouve un peu de tout. Il y a une pollution qui vient du Rhône et une pollution endogène, propre à la Camargue, avec les herbicides et les insecticides utilisés pour la culture du riz. Il faut savoir qu’une molécule d’eau qui entre dans l’étang du Vaccarès met au moins 30 ans pour en sortir, ce qui cause des pollutions chroniques pendant des décennies. Aujourd’hui, les herbiers de Zostère ne recouvrent plus que 3% de l’étang, contre 45% en 1992. On parle d’effondrement écologique avec ce type de dynamique. L’écosystème est officiellement classé en mauvais état de conservation depuis trois ans, à tel point qu’il y a un plan de sauvegarde.”
Gaël Hemery trouve cela “choquant” que l’Avanza soit autorisé dans un milieu aussi fragile, d’autant plus que la réserve n’a pas aujourd’hui les moyens techniques pour détecter cet herbicide dans l’eau, car il s’agit d’une nouvelle molécule.
Et il y en a une autre qui voit rouge, c’est Christelle Aillet, la maire des Saintes-Marie-de-la-Mer, la capitale de la Camargue. Elle a publié un communiqué de presse samedi dernier pour faire part de son “incompréhension” et de son “effarement” suite à l’autorisation de l’Avanza.
Elle craint une contamination des milieux naturels mais aussi de l’eau potable de sa commune, qui est pompée dans le Petit Rhône, où est rejetée une partie de l’eau des rizières après les traitements ! L’inquiétude est forte, car le site de captage de l’eau potable des Saintes-Marie-de-la-Mer se trouve en aval des points de rejets des riziculteurs…
Précisons que ni la maire ni le directeur de la réserve n’ont été informés par le ministère de l’autorisation de l’Avanza. Christelle Aillet attend des garanties et des éclaircissements de la part des services de l’État, sans quoi elle “se réserve le droit d’attaquer en référé suspension cette décision devant la justice administrative”.
Y a-t-il des risques pour la santé humaine ? Pour répondre à cette question, j’ai demandé à plusieurs écotoxicologues d’analyser les données disponibles sur l’Avanza, qui est encore très mal connu par les chercheurs. Tous m’ont fait part de leurs inquiétudes, pointant des risques sur les reins et le foie. Ils se heurtent également à un manque d’informations pour savoir si l’Avanza est, ou non, un perturbateur endocrinien et estiment que les tests réglementaires sont incomplets. Difficile d’en savoir plus pour le moment.
De son côté, Agnès Pannier-Runacher, la ministre déléguée à l’agriculture, qui dépend de la tutelle de Marc Fesneau et que j’ai eue au téléphone, m’indique que c’est la quatrième année qu’une dérogation est accordée à l’Avanza, que d’autres pays européens l’utilisent, que les doses autorisées sont “très limitées”, et que les risques ne sont pas avérés. Je vous laisse juges de ces arguments.
J’ai également sollicité le ministre de l’écologie Christophe Béchu, à qui j’ai appris l’existence de cette dérogation. Il m’assure qu’il n’était pas au courant et qu’il n’a pas été consulté au préalable.
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