
11/11/2024
Kaizen n°2 – Avril Mai 2012 Chronique de Pierre Rabhi
" Seul le changement individuel par l’éveil de la conscience nous sauvera ».
N’étant pas dans un régime de dictature, le suffrage universel nous permet de choisir nos « guides » politiques. Le libre arbitre, pour le meilleur comme le moins bon, engage notre responsabilité individuelle et permet de dire, en toute vérité, que nous avons les politiques que nous voulons et méritons. Je n’arrive toutefois pas à admettre qu’un seul individu soit placé en haut d’une pyramide sociale comme une sorte de pontife reliant ciel et terre, comme un vigile scrutateur orientant le navire vers des horizons salutaires. (...)
La politique telle qu’elle s’est établie dans notre monde contemporain est déterminée, ne soyons pas naïfs, par les enjeux d’un lucre omniscient et omniprésent. Lucre qui s’appuie sur le sentiment permanent de manque, d’insatiabilité, inoculé de façon subliminale dans le cœur d’individus réduits au rang de « consommateurs ». C’est le retour à l’âge du chasseur-cueilleur, déambulant dans les travées blafardes d’un univers où la surabondance le déconcerte. C’est l’ère de la jubilation sonore des tiroirs-caisses. Non, la politique ne fait plus que de l’acharnement thérapeutique par le maintien, coûte que coûte, d’un modèle agonisant, pour ne pas dire déjà mort.
Quand on en a fait un juste diagnostic, la gravité de la situation nécessite, plus que jamais, la mise en œuvre d’une politique qui ose dire que la croissance économique n’est pas la solution mais bel et bien le problème et que le temps d’une civilisation fondée sur la puissance de la modération est venu. Car c’est avec elle que nous nous libèrerons de l’illusion selon laquelle le toujours plus équivaudrait au toujours mieux. Sur une planète où l’indispensable (nourriture, vêtement, abri, soins…) n’est pas assuré pour un nombre toujours croissant d’indigents, le superflu n’a, lui, aucune limite. Tandis que l’Occident constate ses déconvenues et son impasse majeure, les pays dits émergents leur emboîtent le pas, accélérant ainsi le processus d’épuisement des ressources de notre merveilleuse planète. Désormais, la seule politique qu’impose l’évidence est de placer l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations. Quant aux pays dits sous développés, le temps est venu pour eux de se garder des illusions et de construire leur avenir pendant qu’il en est temps, sur les forces inépuisables de la vie elle-même. La civilisation dite « puissante » est la plus vulnérable que l’humanité ait inventée, car sans pétrole, sans électricité, sans communication, elle ne sera plus.
Le temps du génie créateur de la société civile est venu. Un chantier où la simplicité, la convivialité, la réciprocité et la solidarité, par la mutualisation des talents pour un véritable art du vivre ensemble, est ouvert. En espérant qu’il produira de plus en plus de cette joie, qui nous manque temps, et que nul ne peut s’acheter. Car la joie représente le bien universel capable de rouvrir ce lieu intime de nous-mêmes, qui nous rend heureux d’être en vie.