
28/08/2025
Opacité sur les soins dentaires?
Manque de législation?
Vous allez chez le dentiste en toute confiance ? Ne soyez pas si serein. Cela ne signifie évidemment pas qu’il ne faut plus aller chez le dentiste : les soins bucco-dentaires sont essentiels pour prévenir infections, douleurs chroniques et atteintes plus graves de la santé générale. Mais ils méritent aujourd’hui d’être repensés, à la lumière de nouveaux enjeux sanitaires et environnementaux.
Les soins dentaires, - quand ils ne font pas mal - ne sont pas aussi inoffensifs que vous le croyez. Derrière l’image des sourires éclatants et des innovations techniques se cachent des microplastiques et de perturbateurs endocriniens (PE), logés dans les matériaux et produits.
Résines composites, vernis, brosses à dents, mais aussi dentifrices et bains de bouche … autant de sources potentielles de microparticules plastiques et de substances chimiques capables de perturber le système hormonal. Un « combo gagnant » qui inquiète la communauté scientifique sur les risques sanitaires et environnementaux de cette pollution.
Bien sûr, l’objectif ici n’est pas de diaboliser les soins dentaires eux-mêmes, qui permettent de traiter des infections, d’éviter des extractions ou des complications sévères, mais d’appeler à une vigilance accrue sur les matériaux utilisés, leur innocuité à long terme, et les alternatives plus sûres à développer.
➡️ Microplastiques et perturbateurs endocriniens
« La bouche est un élément particulier dans l’exposition aux PE [perturbateurs endocriniens] et pas uniquement lors des soins dentaires. On sait qu’il y a des passages directs sublinguaux qui font que l’exposition au niveau de la bouche est importante », affirmait déjà en 2017, Sylvie Babajko, directrice de recherche à l’INSERM et spécialiste des questions de l’activité des perturbateurs endocriniens sur la santé dentaire.
La bouche est en fait particulièrement exposée aux perturbateurs endocriniens (tel que le bisphénol A) et aux microplastiques. Comme toutes les muqueuses, elle est fine et très vascularisée permettant une absorption rapide des polluants, parfois sans passer par le foie. Les matériaux dentaires, comme les composites, colles, et prothèses peuvent libérer ces composés sous l’effet de la salive, de la chaleur, du pH ou de la mastication, sans parler des gouttières et brosses à dents qui constituent d’autres sources d’exposition.
Ainsi, selon un article de l’EFSA publié en 2023, le BPA peut être absorbé par voie buccale à des doses préoccupantes, même lorsqu’elles restent inférieures aux seuils réglementaires, faisant de la cavité buccale un point d’entrée critique pour ces polluants invisibles, nécessitant une vigilance accrue en matière de prévention.
Pire, selon une étude publiée dans ScienceDirect en 2024, chaque acte de polissage ou de retrait de résine composite libère des milliers de particules plastiques, dont une partie est aspirée puis rejetée dans les eaux usées, rejoignant ainsi le cycle environnemental et s’accumulant dans la chaîne alimentaire, déjà surchargée de polluants en tout genre. Sylvie Babajko prévient :
« TOUTE INTERVENTION PEUT POTENTIELLEMENT ÊTRE LE MOMENT PRÉCIS OÙ UN MAXIMUM DE SUBSTANCES TOXIQUES SERA LIBÉRÉ. »
Une fois dans le corps, les microplastiques et perturbateurs endocriniens peuvent provoquer du stress oxydatif, des inflammations, des déséquilibres hormonaux, et même des dommages cellulaires. Le risque est d’ailleurs d’autant plus grand pour les professionnels de santé exposés de manière répétée, ce qui pourrait accroître les risques respiratoires ou inflammatoires s’il n’y a pas de systèmes d’aspiration ou de filtration efficaces.
Ce constat ne remet pas en cause la nécessité d’intervenir médicalement quand cela est justifié. Un acte dentaire, même s’il comporte certains risques liés aux matériaux, reste souvent indispensable pour préserver la santé générale. L’enjeu est donc d’améliorer les pratiques, pas de s’en passer.
➡️ Chaque acte médical dentaire est une bombe de polluants libérés !
Les matériaux dentaires modernes contiennent des additifs tels que le bisphénol A (BPA), les phtalates, les retardateurs de flamme bromés ou encore des métaux lourds, destinés à améliorer leur résistance, leur couleur ou leur durabilité.
Or, ces substances ne sont pas chimiquement liées à la matrice plastique et peuvent migrer vers la salive, surtout lors des premières heures suivant la pose, ou lors de l’usure mécanique. Comprendre : tout le temps !
Selon une publication de l’Inserm (2022), les couches superficielles des vernis et des scellants dentaires peuvent relarguer des doses significatives de BPA, un perturbateur endocrinien avéré, sans parler de l’altération de développement des dents et de l’émail. Les effets délétères du bisphénol A (BPA) et des phtalates, en particulier le di(2-éthylhexyl)phtalate (DEHP), sont désormais bien établis dans la littérature médicale.
Des études expérimentales chez l’animal ont mis en évidence leurs impacts spécifiques sur la minéralisation dentaire. Notamment, une exposition chronique à de faibles doses de DEHP chez la souris induit des anomalies de l’émail, avec une hypominéralisation plus marquée chez les mâles.
Chez l’être humain, le BPA a été associé à un trouble du développement de l’émail (l’hypominéralisation molaire-incisive pour les plus techniques), qui affecte jusqu’à 15 % des enfants âgés de 6 à 8 ans, selon l’Inserm, la pathologie se manifeste par des dents plus fragiles, sensibles, et sujettes aux caries précoces. Forcément, l’étude met en évidence un lien entre l’exposition prénatale ou postnatale précoce au BPA et l’altération des gènes impliqués dans la formation de l’émail.
Il est donc fondamental de ne pas retarder ou éviter les soins chez l’enfant, mais de s’assurer que ceux-ci soient réalisés avec les matériaux les plus sûrs disponibles, tout en renforçant la prévention (alimentation, hygiène bucco-dentaire) pour limiter la nécessité de restaurations invasives.
Au-delà du domaine bucco-dentaire, ces perturbateurs endocriniens sont aussi suspectés de contribuer à un large éventail de pathologies. Diverses sources toxicologiques issues de plusieurs études suggèrent une implication du BPA et des phtalates dans l’infertilité, les cancers hormono-dépendants (sein, prostate), l’obésité infantile et les troubles neurodéveloppementaux, notamment les troubles du spectre autistique (TSA) et le déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH)
➡️ Un problème environnemental majeur
En dehors de ses effets sur les animaux humains, tout le vivant est là encore impacté. Les soins dentaires modernes, en particulier les actes de finition, de polissage et de retrait de matériaux composites ou prothétiques, génèrent une quantité significative de microplastiques et de nanoplastiques. Ces particules sont issues de matériaux synthétiques comme les résines composites, largement utilisées en dentisterie restauratrice. Une fois produites, elles sont partiellement aspirées par les systèmes de succion dentaire, puis dirigées vers les eaux usées sans dispositif de filtration spécifiquement conçu pour les retenir.
Selon l’étude publiée sur ScienceDirect, les stations d’épuration classiques ne parviennent à éliminer qu’une fraction de ces micro et nanoparticules plastiques. L’étude souligne surtout que les traitements des eaux usées sont inefficaces face aux plus petites tailles de particules (inférieures à 10 µm), lesquelles traversent les systèmes de filtration et se retrouvent dans les milieux aquatiques et terrestres.
L’étude appelle ainsi à une meilleure gestion des déchets et à des protocoles de protection renforcés, bien que, in fine tout se retrouve dans des décharges à ciel ouvert.
➡️ Quid des brosses à dents ?
Outre les soins chez un dentiste ou orthodontiste, les brosses à dents, les fils dentaires, dentifrices (et certains chewing-gums) contiennent également des microplastiques en quantité importante. Ainsi, de nombreux produits d’hygiène bucco-dentaire contiennent des microparticules de polyéthylène ou de polypropylène, ajoutées pour améliorer la texture ou l’efficacité nettoyante, qui sont directement ingérés et/ou rejetés dans des proportions variables dans l’environnement lors du brossage ou du rinçage.
Ces particules, du fait de leur stabilité chimique et de leur faible biodégradabilité, s’accumulent dans les rivières, les sols, les sédiments marins et même dans les organismes vivants, contribuant à la contamination de la chaîne alimentaire. Leur présence a été documentée dans les moules, poissons, crustacés et jusqu’à l’organisme humain (placenta, poumons), avec des effets potentiels encore à l’étude sur la santé publique.
➡️ Une réglementation encore insuffisante
L’Union européenne a interdit le bisphénol A (BPA) dans les biberons et certains jouets, mais son utilisation dans les matériaux dentaires reste autorisée, à condition de respecter des seuils d’exposition jugés « sans danger ». Or, plusieurs études (Inserm, 2022) montrent que les perturbateurs endocriniens peuvent agir à des doses bien inférieures à ces seuils, et que l’exposition chronique, même faible, pose un risque sanitaire réel.
Concernant les microplastiques, la réglementation européenne prévoit une interdiction progressive de leur ajout intentionnel dans les cosmétiques, mais exclut encore les matériaux dentaires et chewing-gums, laissant un vide réglementaire notable.
Les mesures actuelles reposent surtout sur l’information des professionnels et des patients, l’incitation à utiliser des matériaux sans BPA ni phtalates, et la mise en place de systèmes de filtration des eaux usées dentaires.
Cependant, ces initiatives restent limitées, manquent de cadres contraignants et peinent à se généraliser, en raison de coûts et d’enjeux techniques non résolus. Certaines initiatives développent des prothèses plastic-free, mais leur adoption reste freinée par des coûts élevés et des performances encore perfectibles.
Loin de nous l’idée de remettre en cause l’expertise des dentistes ou la nécessité des soins : ce sont des piliers de la médecine préventive. Mais comme dans d’autres domaines de la santé, une réflexion globale s’impose sur les pratiques, les matériaux et leur impact à long terme, pour faire émerger une dentisterie réellement biocompatible, durable et transparente.
En attendant une réglementation plus ferme et des innovations matérielles, chacun peut à son échelle faire des choix éclairés : interroger son praticien sur les matériaux utilisés, demander des alternatives sans BPA si disponibles, maintenir une hygiène rigoureuse pour prévenir les soins évitables, et participer à une transition vers une dentisterie plus durable, sans compromettre sa santé. Libre aussi à vous de privilégier les dentifrices sans plastique, par exemple.
✍🏼 Maureen Damman
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