07/05/2022
La prise en charge de la victime mineure ou devenue majeure
Par le Dr Gérard Lopez
2021
La mise en lumière des violences subies par la victime ne doit pas seulement servir à la mise en mouvement de l’action publique, elle doit également permettre une prise en charge médicale de la victime. L’accompagnement médical et notamment l’accompagnement psychologique des victimes souffre, à cet effet, d’un manque d’intérêt public dans les réflexions touchant aux violences intrafamiliales.
Le traitement d’une victime dépend beaucoup de son passé traumatique. Une victime bien structurée ayant un style d’attachement sécure, qui aura été la cible d’un criminel, posera moins de problèmes qu’une personne ayant subi des traumatismes anciens et répétés comme une maltraitance ou des viols incestueux dans l’enfance.
Depuis une quinzaine d’années, des techniques psychothérapeutiques ont été adaptées au psychotraumatisme. Mais ces techniques ne remplacent pas une longue fréquentation de la problématique des victimes et en particulier des victimes d’agressions sexuelles et des processus de domination sexiste qui les sous-tendent.
Les troubles psychotraumatiques sont en relation « directe et certaine » avec l’événement subi comme l’écrivent les rédacteurs du guide barème des pensions militaires. Il est indispensable de traiter en priorité les troubles psychotraumatiques spécifiques : les pensées, images, sensations physiques, cauchemars, répétitifs et intrusifs de l’événement, les évitements, les troubles neurovégétatifs, la colère, etc.
Le traitement proprement dit doit, autant que possible, privilégier les thérapies dites brèves centrées sur le traumatisme psychique et ses conséquences sur la vie courante.
Il gagnerait à être entrepris le plus tôt possible. Parfois, cadeau dans l’horreur, la psychothérapie brève peut déboucher sur une demande de travail psychothérapeutique.
La recherche indique que l’expérience du traitement du psychotraumatisme est plus importante que le savoir-faire technique du thérapeute. De solides connaissances victimologiques sont également indispensables pour orienter la victime dans le réseau d’aide et d’accompagnement social et judiciaire, faute de quoi le cadre thérapeutique ne résisterait pas à la pression des événements qui compliquent le parcours de la victime : cette protection limite le risque de maltraitance sociale
(survictimation).
Les thérapies brèves sont indiquées quand la symptomatologie psychotraumatique spécifique est prédominante.
En revanche, lorsque les troubles identitaires et narcissiques dominent le tableau clinique, les psychothérapies prolongées sont indispensables. Dans ces cas, la chimiothérapie et les thérapies brèves à visée principalement symptomatique permettent de traiter ponctuellement des troubles intrusifs ou des stratégies d’évitement, mais elles n’ont pas vocation à se substituer à la poursuite de la thérapie de reconstruction psychodynamique.
La force des recommandations de la Haute Autorité de santé est définie dans le tableau suivant ; elles ne sont valables que pour les troubles du stress post-traumatique (TSPT).
La thérapie relationnelle des personnalités traumatiques complexes
Les sujets victimes de traumatismes répétés, reconnus comme étant des états de stress post-traumatique complexes dans la onzième édition de la classification internationale des maladies (CIM 11), perdent progressivement confiance en toutes formes d’aide possible. Un enfant maltraité ne peut espérer une aide quelconque puisque les personnes chargées de son éducation ont été défaillantes. S’il entamait une psychothérapie, il serait difficile de gagner sa confiance pour parvenir à mettre en place un cadre adapté où les limites librement acceptées ne seraient pas constamment négociables, comme elles le furent dans son rapport familial : de là dépend une bonne compliance thérapeutique.
D’une manière générale, ces « sujets mal structurés » consultent rarement pour les conséquences cliniques d’événements traumatiques anciens qu’ils ne relient pas à leurs difficultés actuelles, mais plus souvent pour un trouble comorbide comme un état dépressif après une rupture vécue comme un intolérable abandon, une addiction, un trouble anxieux ou somatique.
Lors des premiers entretiens, les risques d’idéalisation du thérapeute sont à la hauteur des désillusions survenant à la moindre frustration. Les personnalités traumatiques complexes s’ingénient à reproduire littéralement avec leurs thérapeutes les situations abandonniques vécues dans l’enfance, courant le risque de passage à l’acte suicidaire impulsif. Les femmes victimes de violences conjugales répétant fréquemment littéralement les violences subies dans l’enfance dans le cadre familial, par exemple, génèrent des sentiments complexes d’incompréhension irritée de la part des professionnels : elles sont rapidement rejetées par les policiers qui estiment « qu’elles aiment ça », par les assistantes sociales qui se heurtent à ce qu’elles considèrent être de la passivité, par les médecins qui ne les comprennent pas, par les parquets qui classent sans suite leurs plaintes ou demandent des médiations pénales ; cet exemple est emblématique, mais le sort des borderlines étiquetés « psychopathes », de certaines prostituées, des femmes qui « s’exposent » à être violées plusieurs fois dans leur vie n’est pas différent.
Les risques de répétition littérale se manifestent dans le transfert et le contre-transfert traumatique, c’est-à-dire dans la relation thérapeutique. Le thérapeute doit faire preuve d’une grande tolérance largement étayée sur une solide expérience de ce type de patients pour ne pas se sentir remis personnellement en cause et éviter de s’identifier à l’agresseur que le patient pense trouver en tout être humain. Il doit permettre de réécrire le scénario traumatique.
Il est nécessaire de commencer le traitement en utilisant des techniques favorisant la gestion des émotions (relaxation, tai-chi, yoga, mindfullness, etc.).
D’une façon générale, des aménagements techniques sont nécessaires, car les modalités éprouvées mises au point pour les thérapies de névrosés sont inadaptées.
Les principaux aménagements consistent à :
-poser clairement et simplement des questions sur le passé traumatique, dès le premier entretien ;
-être préparé à recevoir et à gérer les réponses par une bonne connaissance du réseau de prise en charge médico-socio judiciaire ;
-prendre clairement parti pour la victime pour ne pas se faire le complice (involontaire) du déni caractéristique du « système agresseur » qui entretient la confusion ;
-établir une relation de confiance avec ces sujets qui ont toujours été trahis par les personnes qui étaient chargées de les protéger, mais indispensable pour obtenir une bonne alliance thérapeutique ;
-se référer constamment à la loi, mais ne pas imposer un dépôt de plainte comme préalable indispensable au travail thérapeutique ;
-définir le cadre thérapeutique de façon démocratique avec un sujet qui a toujours vécu dans un système de domination imposée (la loi du plus fort) et recadrer à chaque tentative de transgression du cadre ;
-faire preuve d’empathie en tentant d’identifier les émotions ressenties par le patient, tout en gardant la distance qui maintient le cadre thérapeutique dans les limites préalablement définies (il ne s’agit pas de sympathie, laquelle consisterait à s’identifier totalement à la personne souffrante) ;
-contrôler le contre-transfert traumatique et les mécanismes d’identification projective pour ne pas risquer de se mettre inconsciemment en position d’agresseur ; le thérapeute doit s’interroger s’il a tendance à se comporter de façon agressive ; toutes transgressions et a fortiori tout passage à l’acte sexuel seraient la répétition littérale des événements traumatiques avec une victime de viol par inceste par exemple, signant l’échec de la thérapie (même si les rapports sexuels paraissent librement consentis).
Une supervision est indispensable dans ce type de prise en charge difficile. Par ailleurs, il est également nécessaire de savoir repérer les troubles dissociatifs psychotraumatiques qui peuvent se reproduire de façon fâcheuse lorsqu’une victime se trouve confrontée à une pensée, une image, une situation lui rappelant les situations traumatiques antérieurement vécues. L’état de conscience modifié la protège de l’angoisse psychique et physique qui accompagne la reviviscence de la scène traumatique, mais il pérennise le trouble dissociatif qui bloque toute possibilité d’élaboration. Dans ces cas, nous avons vu que l’hypnose est un traitement efficace si toutefois on ne se trouve pas en présence d’une victime d’agression sexuelle.
Malgré ces énormes difficultés et la patience qu’il convient de manifester à ces victimes déstructurées, il faudra parvenir, vaille que vaille, à créer un cadre sécurisant où nul abandon, nulle violence, nul risque de répétition littérale du scénario traumatique spécifique ne pourront jamais survenir. C’est ainsi que les sujets présentant des traumas complexes parviennent à se reconstruire, surtout s’ils ont obtenu une reconnaissance judiciaire.
Nous allons illustrer la mise en pratique d’une thérapie psychodynamique relationnelle aménagée avec un cas clinique particulièrement démonstratif.
Caroline, comédienne connue, prend rendez-vous chez un psychiatre spécialisé en psychotraumatologie. Elle a subi des viols, restés longtemps secrets, dont l’auteur est son grand-père.
Après avoir repoussé trois fois le rendez-vous pour raisons professionnelles, elle se présente sans illusions, expliquant qu’elle a épuisé de nombreux thérapeutes, muets, incompétents, ou trop fascinés par son charme et sa réputation de comédienne célèbre.
Sa demande de soins est motivée par des troubles caractériels qu’elle appelle « caprices » et par des attaques de panique avec sensation de dépossession de soi-même, qui surviennent parfois en plein tournage, surtout lorsqu’il s’agit de scènes sexualisées qu’elle refuse par principe, comme toutes les scènes trop déshabillées, ce que sa notoriété lui permet d’éviter.
Apprendre à gérer les émotions
Caroline présente des épisodes de dissociation lorsqu’elle joue des scènes sexualisées qui la confrontent au scénario traumatique malgré plusieurs thérapies. Le thérapeute lui propose de consulter un kinésithérapeute qui pratique la relaxation, mais elle s’y refuse.
Il est pourtant de bonne règle de commencer la thérapie d’une personnalité traumatique en proposant des techniques de gestion des émotions.
Décrypter le scénario traumatique
Le thérapeute prend en compte tous les aspects du scénario traumatique de Caroline. Il sait par expérience qu’il va se reproduire littéralement dans la thérapie et qu’il représente l’agresseur par transfert traumatique direct négatif. Caroline le consulte sans illusion et ne peut par conséquent pas lui faire confiance. Elle a fait l’expérience de plusieurs prises en charge tantôt par des femmes, tantôt par des hommes, qui se sont terminées rapidement sans aucun profit, lui laissant goût amer et un vif sentiment d’abandon.
Négocier le cadre thérapeutique
La négociation du cadre thérapeutique est des plus ardues parce que les contraintes professionnelles de Caroline ne permettent pas une périodicité préétablie, ce que le thérapeute accepte en lui demandant de s’engager à s’investir dans le traitement. Il lui demande quelle a été jusqu’alors la durée moyenne des thérapies antérieures. « Cinq séances » répond-elle sur un ton à la fois enjoué et provocateur. Il lui précise qu’il le lui rappellera au début de la cinquième séance pour éviter qu’elle claque la porte, se mette très en colère et présente secondairement un insoutenable sentiment d’abandon.
Caroline fera tout ce qui possible pour décourager le thérapeute et interrompre le traitement. Il va par conséquent négocier démocratiquement le cadre thérapeutique pour ne pas mettre en place une situation d’autorité voire d’emprise à la manière de son grand-père.
Le cadre accepté de part et d’autre permet de recadrer le patient à chaque tentative de transgression qui a également pour but d’éprouver le thérapeute. Il faut parfois tolérer que le patient fume s’il est addict au tabac. Mais il est important d’acter que tout passage à l’acte, et notamment tout contact physique, est prohibé pour ne pas répéter littéralement un aspect du scénario traumatique.
Établir une relation de confiance
Caroline rate de nombreux rendez-vous ou tente de les repousser, ce que le thérapeute tolère. Elle paie rubis sur l’ongle les séances ratées, comme cela a été décidé lors de la négociation du cadre thérapeutique. Elle se présente toujours légèrement en re**rd, se plaint du manque de progrès, de l’absence de conseils qu’elle réclame obstinément. Elle exige des tranquillisants. Malgré ces tentatives de déstabilisation, le thérapeute maintient une attitude empathique. Elle peut disparaître pendant trois semaines pour des motifs plus ou moins fallacieux,mais elle continue à venir en maîtrisant tant bien que mal la colère que lui inspire l’apparente passivité du thérapeute : « Vous ne dites pas grand-chose ! Vous ne faites rien pour m’aider », se plaint-elle fréquemment.
Établir une relation de confiance est une épreuve éprouvante pour le patient et le thérapeute qui s’évertue à ne reproduire aucun des aspects du scénario traumatique en étant tolérant, mais contenant. Parfois le patient entre dans une épreuve de force avec surenchère permanente pour revivre le scénario traumatique. Mais progressivement, une relation de confiance se met en place. Le thérapeute devient un parent suffisamment bon au sens de Winnicott.
Au bout d’une année assez décourageante pour le thérapeute, émaillée de provocations permanentes, de remarques désobligeantes, la patiente commence à s’investir dans la thérapie. Elle ne rate une séance que lorsqu’elle y est contrainte. Il lui devient possible de parler du grand-père, de la possible complicité de sa mère, de l’indifférence de son père. Elle reconnaît que ses relations masculines sont toujours décevantes, que sa sexualité ne lui apporte aucune satisfaction et qu’elle n’est attirée que par les hommes âgés.
La réécriture du scénario traumatique spécifique marque la fin de la thérapie
Caroline devient progressivement très familière. Confiante. Détendue. Elle essaie de se rapprocher du thérapeute, d’en savoir davantage sur sa vie, sa famille. Elle lui donne des conseils vestimentaires.
Au cours d’une séance, elle lui déclare : « Le psy de mon amie Paquita, il lui prend la main quand elle ne se sent pas bien. »
Prendre la main de la patiente serait un passage à l’acte transgressif qui remettrait en cause tous les progrès thérapeutiques accomplis. Le contraire en revanche permettrait de réécrire par l’exemple plus que par une quelconque interprétation, le scénario traumatique spécifique : des passages à l’acte sexuel transgressifs. Le thérapeute se contentera de faire un lien avec le scénario traumatique (avec une pointe d’humour, la solidité de la relation l’y autorise à présent) en lui faisant remarquer qu’il a précisément l’âge du grand-père quand ce dernier a commencé de lui prendre la main avant de la violer.
Les tentatives de remise en actes du scénario traumatique spécifique, l’événement traumatique spécifique initial, peuvent ne pas être aussi subtiles que dans ce cas particulier. Il peut s’agir d’une invitation au restaurant, d’une déclaration d’amour ou de propositions directes à des rapports sexuels, que la négociation préalable du cadre thérapeutique avait bien entendu interdite de façon explicite, comme toute autre forme de passage à l’acte.
Les passages à l’acte sexuel commis par des thérapeutes et des médecins sont beaucoup plus fréquents qu’on peut l’imaginer, en particulier avec les victimes de viols subis dans l’enfance. Certaines victimes ont vécu cette inacceptable situation à plusieurs reprises avec des thérapeutes différents. L’une d’entre elles nous a confié avoir eu des interactions sexuelles avec huit psychiatres différents. La chape de plomb les concernant commence à se fissurer. Louise de Urtubey (2006) leur a consacré une étude récente. Des associations se créent pour les dénoncer, comme l’association SOS Thérapires (prevensectes.com) dont l’objet est de prévenir les pratiques psychothérapeutiques déviantes et abusives : d’accompagner, d’aider les victimes de telles pratiques, ainsi que leurs proches, de travailler en collaboration avec les pouvoirs publics, les particuliers, les associations et mouvements de lutte contre ces pratiques psychothérapeutiques déviantes et abusives, afin de faire évoluer la législation dans ce domaine ; de contribuer à promouvoir des accompagnements psychologiques de qualité, respectueux de la dignité humaine.
https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-de-la-sante-et-de-l-assurance-maladie-2021-3-page-119.htm