14/08/2025
En Chine, l’acupuncture est-elle plus utilisée que la pharmacopée chinoise ?
1. Un héritage historique dominé par la pharmacopée
Depuis l’Antiquité, la médecine chinoise traditionnelle (Zhōng Yī 中医) s’appuie sur un corpus théorique et clinique où la pharmacopée (Zhōng Yào 中药) occupe une place centrale.
Dès la dynastie des Han (206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), les traités majeurs tels que le Shāng Hán Zá Bìng Lùn 伤寒杂病论 de Zhāng Zhòng-jǐng 张仲景 accordent une importance prépondérante aux formules de plantes médicinales pour traiter les maladies externes comme internes.
Les écrits d’acupuncture existent — par exemple le Líng Shū 灵枢, consacré aux méridiens et aux aiguilles — mais, quantitativement, le nombre d’ouvrages de pharmacopée et de médecine interne a toujours dépassé celui des textes strictement dédiés à l’acupuncture.
Durant les siècles suivants, les grands médecins tels que Sūn Sī-miǎo 孙思邈 (Qǐān Jīn Fāng 千金方) ou Lǐ Shí-zhēn 李时珍 (Běn Cǎo Gāng Mù 本草纲目) ont enrichi un savoir pharmacologique colossal, confirmant que l’outil principal du médecin chinois restait la prescription de plantes, en complément éventuel d’aiguilles ou de moxas.
2. La situation contemporaine en Chine
Dans les villages et petites villes
En zone rurale, la pharmacopée reste dominante. Les médecins traditionnels y prescrivent majoritairement des décoctions, poudres ou pilules à base de plantes locales. L’acupuncture est pratiquée, mais souvent en appoint, par manque d’équipement spécialisé ou de formation approfondie des praticiens ruraux.
Dans les grandes villes et hôpitaux
Les hôpitaux de médecine traditionnelle chinoise (Zhōng Yī Yuàn 中医院) combinent systématiquement prescriptions pharmacologiques et acupuncture. Toutefois, dans les services de médecine interne, la prescription de formules reste l’axe thérapeutique principal, l’acupuncture intervenant surtout en traitement symptomatique (douleurs, paralysies, rééducation post-AVC…).
3. Les universités de médecine chinoise : plus de plantes que d’aiguilles
Dans les cursus universitaires en Chine, la formation des médecins généralistes de MTC est très orientée vers :
• La différenciation des syndromes (Biàn Zhèng 辩证)
• La prescription de formules classiques et modernes
• L’intégration de la médecine occidentale de base (examens cliniques, imagerie, pharmacologie occidentale).
L’acupuncture fait partie intégrante du programme, mais le niveau d’expertise en diagnostic et en pathologie interne est surtout exigé chez les prescripteurs de pharmacopée.
À l’inverse, les étudiants qui choisissent une spécialisation exclusivement en acupuncture ont un cursus plus court et moins approfondi en pathologie interne.
De fait, en Chine, les praticiens considérés comme “médecins de haut niveau” sont majoritairement prescripteurs, tandis que certains profils moins avancés académiquement se tournent vers l’acupuncture seule — sans que cela retire la valeur thérapeutique de cette pratique.
4. Pourquoi l’acupuncture est-elle plus connue en Occident ?
Plusieurs raisons expliquent ce décalage :
1. Facilité logistique : les aiguilles sont simples à transporter et à utiliser, alors que l’importation de plantes médicinales chinoises est complexe et souvent soumise à des restrictions réglementaires.
2. Coût et accessibilité : la mise en place d’une séance d’acupuncture ne nécessite pas d’infrastructure lourde, contrairement à l’approvisionnement continu en pharmacopée.
3. Formation plus courte : il est possible en Occident de se former à l’acupuncture en quelques années, alors que la prescription de plantes exige une maîtrise complète de la pathologie interne chinoise, ce qui demande un cursus long et rigoureux.
4. Perception culturelle : les aiguilles fascinent par leur aspect visuel et “exotique”, tandis que la pharmacopée est souvent méconnue ou perçue comme plus compliquée à utiliser.
5. Différence de niveau entre prescripteurs et acupuncteurs en Chine
En Chine, le diagnostic différentiel (Biàn Zhèng 辩证) est la clé de tout traitement. Les prescripteurs de pharmacopée sont formés à un raisonnement clinique très fin, capable de traiter des pathologies internes complexes.
Les acupuncteurs spécialisés disposent de techniques précises et parfois spectaculaires pour soulager douleurs ou blocages fonctionnels, mais leur champ d’action clinique est souvent plus restreint.
Ce n’est pas une question de valeur thérapeutique, mais d’orientation et de profondeur de formation.
En résumé : en Chine, hier comme aujourd’hui, la pharmacopée chinoise est le cœur de la médecine traditionnelle, et l’acupuncture, bien que précieuse, reste souvent un traitement complémentaire. En Occident, c’est l’inverse qui s’est imposé, principalement pour des raisons pratiques et réglementaires.