24/03/2024
JASMIN
Vendredi, j’ai changé de savon dans ma salle de bain. En ouvrant le placard sous le lavabo, je regarde les savons oubliés que j’ai rangés là. Mes yeux, mes mains, n’hésitent pas longtemps, et je choisis, à la faveur du hasard ingénu qui me guide savamment là où je crois encore fermement, au cours d’infimes fractions de secondes, à la banalité innocente et libre de toute portée, du geste : un savon blanc de la marque indienne Khadi, acheté l’été dernier à Varanasi. C’est un savon laiteux au jasmin. Je le porte à mes narines et son parfum, sans crier gare, m’envahit puissamment. Les effluves du jasmin se diffusent instantanément dans chacune de mes cellules, coulent à flot dans le fleuve sacré de mes veines, m’enveloppent, m’enrobent, m’emplissent, totalement. Et je me mets à pleurer, c’est plus fort que moi. Je n’ai rien vu venir tant l’effet est immédiat. Je pleure de grâce, de beauté, d’amour et de nostalgie de mon voyage en Inde l’été dernier. Des souvenirs remontent et je suis cueillie là, dans l’entrelacement quantique des temps, dans la simultanéité déroutante du passé ravivé au présent. C’est comme si j’y étais encore. C’est incroyablement vivant. Je comprends que le parfum du jasmin m’invite à purifier des émotions enfouies, pour les voir encore une dernière fois, sous un autre angle peut-être. Dans mon cœur, dans mon corps, sont imprimées sous le voile trompeur de l’oubli les traces d’un amour puissant, celui d’un homme, celui de l’Inde, et de l’Inde à travers lui, celui d’une autre vie vécue là-bas et dont les fragrances m’enivrent au-delà de tout entendement. C’est là, tellement présent, sans fioriture, drapé d’évidence, que cela ne peut se dissoudre dans les sillons brumeux de palabres inutiles.
Et je me replonge dans ce texte inachevé, écrit quelques semaines après mon retour de voyage. Le savon, c’est une histoire de peau, et la peau a une histoire :
COMPOSITION N°1 – Les pores de la peau
La peau est un peau-aime, et ses pores invitent à la prose. J’ai voyagé. J’ai voyagé en Inde. J’ai foulé pour la première fois le sol de MOTHER INDIA le 9 juillet 2023, à Thiruvananthapuram, la cité du seigneur Ananta, dans le Kerala. Ananta est un nâgâ (serpent). Il signifie en sanskrit éternel ou infini. Le 9 juillet, c’est la date à laquelle mon arrière-arrière-grand-père paternel est né et a été déposé à la DDASS, sa mère Marie-Marguerite n’ayant pas les moyens de l’élever. Le 9 juillet, c’est aussi ce jour-là, en 2018, que j’ai vécu ma première constellation, orientée sur cette histoire familiale. Je n’ai découvert la corrélation signifiante des dates que bien après. Quand les synchronicités nous guident… Intervalle éloquent de reliance entre deux mondes spatio-temporels, à l’instar d’Ananta sur lequel se repose Vishnou, après la fin d’un monde et avant la création d’un nouveau.
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Je suis née en 2023. J’ai 42 ans le jour de ma naissance. Deux trouées lumineuses parfaitement symétriques en forme d’amande percent les nuages : ce sont les yeux de Shiva. Je me sens accueillie et bienvenue sur cette terre. Je descends de l’avion et je foule pour la première fois le sol de MOTHER INDIA. Je hume l’air chaud et humide qui m’enveloppe comme un cocon. C’est la mousson. Je respire. Ma peau respire. Je suis touchée, dans tous les sens du terme (du derme !). Je suis un bébé à la peau toute neuve et luisante. La vie glisse sur moi sans faillir. Elle ruisselle, même. Mes pores sont ouverts totalement, sans crainte aucune, curieux au contraire de capter à l’infime et à l’intime ce que le monde alentour leur murmure en secret. Mon corps s’expanse de ces perceptions dévoilées dans leur infinie multiplicité. C’est un festival sensoriel et multidimensionnel.
Le chauffeur de taxi m’accueille avec un bouquet de jasmin délicieusement odorant. Je me sens honorée. Je n’ai pas l’habitude, et c’est juste bon, dans la simplicité crue de ce qui ici relève de l’ordinaire.
Je voyage. Je voyage en moi-même en même temps que je rencontre le monde. Je suis là et je suis partout. Je suis moi et je suis l’autre et l’autre est moi. Je marche sur la terre et en même temps je flotte, je suis portée, j’aime et je suis aimée, je m’aime, sans hésitation. J’ai l’impression que ma peau respire comme les ombelles des méduses, grâcieuses, légères, translucides et baignées de lumière. Le fin réseau de ma peau est irrigué de minces filets de lumière vive qui coulent tout le long de mon corps, créant de nouvelles veines qui serpentent et arpentent la totalité de mon être. AMOUR.
Thiruvananthapuram, la cité du seigneur Ananta. Ananta, éternel, infini. Le serpent naga ondule et oscille à la force de ses anneaux, glissant ses écailles luisantes le long des méandres sinueux du vivant manifesté. Des pleins et des déliés, des boucles, des entrelacs, des vagues, des nœuds parfois, mais toujours en courbes et rondeurs, des ondes de vie continues et ininterrompues. Ma colonne frémit, solide et souple comme une tige de lotus. La sève monte, vigoureuse, fluide, altière et humble tout à la fois. Et je goûte ce sentiment de dissolution divine dans l’espace qui m’entoure, et dans lequel en même temps je me rassemble. Je suis moi et je suis l’autre et l’autre est moi… PROFOND SENTIMENT D’UNITÉ.
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J’avais prévu de poursuivre l’écriture de ce voyage. J’avais déposé sur le papier plusieurs titres, un pour chaque composition. C’est resté en suspens. Peut-être reprendrai-je le fil plus t**d, peu importe quand. C’est encore vivant.
Depuis ce temps, j’ai traversé de sombres turbulences, une nuit noire de l’âme, entre deux mondes. RUPTURE APPARENTE DANS LA CONTINUITÉ VIVANTE DE CE QUI EST, COMME UNE CELLULE NOUVELLE, SYMBOLE DE L’UNITÉ FONDAMENTALE ET INDESTRUCTIBLE, AU CŒUR DE LAQUELLE TOUT SE DÉCOMPOSE, SE COMPOSE ET SE RECOMPOSE.
Moi aussi, comme Vishnou, je me repose sur Ananta…en lisant ceci dans Le Guide de l’olfactothérapie :
JASMIN : UN CADEAU PUR ET PRÉCIEUX
« Jasmin ouvre vers les rapports de lien, de transmission, à la fois précieux et inestimables. Car elle va toucher aux rapports transgénérationnels, à l’énergie de vie (du point de vue physique), des liens du sang, et donc aussi vers ce qui peut faire mal à la mémoire comme les secrets de famille ou des souvenirs très anciens… Il n’y a là rien de gratuit : car jasmin permet alors à la personne de trouver la force et le courage d’aller chercher, de découvrir et de pardonner, voire de se pardonner. Par ses fragrances, jasmin porte de ces lourdeurs qui mènent vers la légèreté, elle ouvre sur tout le passé et rappelle la puissance des Anciens qui, s’ils étaient encore là, diraient : « Ce que tu as vécu tu l’as vécu, nous aussi, et maintenant cela fait partie de toi ; à présent que tu en as pris conscience, continue à avancer et tu verras que derrière ton chagrin et tes difficultés, il y a aussi une vie, mais encore plus belle. »
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Demain, c’est la pleine lune. Le bindu lumineux qui contient tout en germe, le début et la fin, la fin et le début. MÉNAGE DE PRINTEMPS.