04/06/2025
𝙇’𝙚́𝙢𝙤𝙩𝙞𝙤𝙣 𝙘𝙤𝙢𝙢𝙚 𝙣𝙤𝙣 𝙖𝙢𝙤𝙪𝙧 ......
On confond souvent l’intensité émotionnelle avec la profondeur de l’amour. Pourtant, ce que l’on prend pour un lien à l’autre est parfois un repli sur soi, un appel désespéré du moi blessé.
Et si l’émotion ne témoignait pas toujours d’un amour vrai, mais parfois d’un simple attachement narcissique ?
On peut pleurer un amour perdu, une figure idolâtrée ....... et pourtant, ces larmes ne disent pas nécessairement l’amour, mais plutôt l’épanchement de soi.
L’émotion, ici, ne serait pas un pont vers l’autre, mais une dilatation du moi. D’ailleurs, si cette émotion ne rencontre aucun écho, si elle se heurte au silence ou à l’indifférence, elle peut vite se muer en fiel. Une sensibilité trop pleine peut dériver vers la haine ou la violence… comme si l’excès de sentiment pouvait tourner au venin.
Ce regard, d’abord abrupt, prend une texture plus nuancée lorsqu’on l’éclaire à la lumière de la psychanalyse. Là aussi, on distingue un amour du manque d’un amour du miroir. Le moi peut tendre vers l’autre non pour le rencontrer, mais pour y accrocher son reflet préféré. L’admiration, la passion, peuvent alors n’être que des jeux d’optique. Je t’aime à condition que tu continues de me dire qui je suis ...... ou plutôt qui je veux croire être. Lacan parlerait ici de l'idéal du moi, cette image intérieure à laquelle on tient coûte que coûte, et que l’autre est chargé de refléter. Quand ce reflet vacille, l’amour vacille avec lui. Et la tendresse peut virer à la morsure, voire la guerre.
Ce retournement est fréquent dans les relations fusionnelles, où l’on n’aime pas l’autre pour ce qu’il est, mais pour le trou qu’il vient boucher. L’amour devient alors pansement, ou camouflage. Winnicott nous rappelle pourtant que la capacité à être seul en présence de l’autre est le signe d’un soi qui tient debout. A l’inverse, ce besoin impérieux de réponse immédiate trahit souvent une angoisse de séparation encore nue, jamais symbolisée ..... une faille que nul ne peut combler sans s’y perdre.
Lacan, de son côté, nous rappelle que l’amour véritable suppose de consentir au manque. Il ne comble pas, il reconnaît. Il ne fusionne pas, il laisse être. Aimer, ce n’est pas annexer l’autre à son empire intérieur, mais accueillir son étrangeté.
La psychanalyse, pourtant, ne jette pas l’émotion aux orties. Elle l’écoute. Comme on écoute un rêve ou un lapsus : non pour s’en émerveiller, mais pour en déplier les lignes cachées. Une émotion peut surgir du cœur ou d’un narcissisme blessé. Ce n’est pas sa couleur qui compte, mais ce qu’elle tente de dire. Ce qu’elle cherche à traduire.
Ce n’est pas l’amour qui mène à la haine, mais l’attachement crispé à une image, une projection, un fantasme. Ce n’est pas le lien qui tue, mais le refus de lâcher prise. L’amour véritable, comme la psychanalyse le suggère, suppose un effacement du moi. Non pas une disparition, mais un léger retrait. Juste assez pour que l’autre puisse exister sans devenir un personnage de notre théâtre intérieur.
Iris Fontaine