30/06/2023
Que Pierre sache reconnaître Paul
La toile ivoirienne est secouée depuis quelques jours par un conflit de basse intensité. Il met aux prises deux postures de croyants. Les uns défendant ce qui leur semble la norme esthétique (et éthique) de la foi chrétienne et les autres estimant que le christianisme se vit au-delà des apparences. Tout semble parti de la chanson de l’artiste KS Bloom « Dieu ne pile pas foutou ».
Cet artiste qui arbore des locks et porte les vêtements amples des rappeurs américains a produit une chanson faisant mouche. Le morceau se veut une version métaphorique du passage biblique de Job 22. 28 : « À tes résolutions répondra le succès » et s’insurge contre une conception de la foi qui veut que le croyant attende tout de Dieu, s’imaginant que le succès n’implique aucun effort personnel du fidèle. Attestée par plusieurs passages scripturaires, l’idée d’une coopération de l’homme avec Dieu est une constante de la théologie chrétienne. Le verset de Genèse 1. 28 dresse déjà le décor d’une exigence pour l’homme de rester actif, bien qu’allié de Dieu : « Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre ». Le temps à l'impératif de tous les verbes de ce passage indique une exigence, celle de l’action. Il apparait que ce n’est pas à Dieu de « féconder », ou de « multiplier ». Il a donné à l’homme tous les instruments d’une telle entreprise. Dompter les animaux, les soumettre sont autant d’exigences relevant du devoir de l’homme. Et c’est naturellement que Dieu traitant une nouvelle alliance avec les croyants à Moab, à la suite de celle d’Horeb, leur dit en Deutéronome 30. 9 : « L'Éternel, ton Dieu, te comblera de biens en faisant prospérer tout le travail de tes mains, le fruit de tes entrailles… ».
Dieu ne promet pas de travailler pour l’homme, ni d’enfanter pour lui. Il se réserve plutôt le droit d’ajouter la plus-value de la prospérité à l’effort humain. C’est une telle conception – scripturairement fondée – que chante pourtant KS Bloom, provoquant une ire parfaitement incongrue. Que reproche-t-on donc vraiment à KS Bloom ? Le fait de porter des locks et des vêtements fashion ? Le fait de traduire des vérités bibliques dans le champ de représentation des marginaux ? Le fait de ne pas arborer l’apparence conventionnellement admise comme étant celle des chrétiens ? Il y a fort à parier que la levée de bouclier suscitée par son nouveau tube tienne à au moins une de ces considérations.
Mais si tel est le cas, on en revient à un événement de l’histoire de l’Eglise du premier siècle : la controverse entre Pierre et Paul, que les historiens du christianisme appellent la « Querelle d’Antioche ». A quoi ramène-t-elle ? Elle réfère au différend survenu entre dirigeants chrétiens autour de la circoncision des nouveaux convertis au christianisme. Les nouveaux convertis non-juifs devaient-ils oui ou non observer les préceptes de la loi de Moïse, c’est-à-dire, entre autres, être circoncis et se conformer aux lois alimentaires du judaïsme ? Là où Pierre disciple de Jésus penchait pour la circoncision, Paul faisait plutôt valoir que la conversion au christianisme consiste moins en une modification de la corporalité (incision dans la chair) qu’en un changement de comportement. Pierre a dû s'aligner sur la position de Paul qui elle-même est celle de la Bible exprimée en 1 Samuel 16. 7 ! « (…)
L'Eternel ne considère pas ce que l'homme considère; l'homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l'Eternel regarde au cœur ». La position de la Bible c’est que l’appartenance à Christ relève plus de l’être que de l’apparaitre. C’est pourquoi, sans être syncrétiste, le message chrétien est inclusif. Qu’on porte des locks ou qu’on mette un foulard, qu’on porte des boucles ou qu’on boutonne entièrement sa chemise, qu’on s’appelle Paul ou Pierre, qu’on soit circoncis ou qu’on ne le soit pas, l’enjeu est de se conformer à Christ en se démarquant du péché. Ce n’est pas sur notre apparence que Jésus nous juge. C’est sur notre conduite, particulièrement privée, que Dieu détermine si oui ou non, nous sommes ses disciples. En tout cas, si Dieu ne pile pas foutou, il nous recommande encore moins de piler nos frères, sur la base d’une discordance d’apparence. Pierre avait pour mission d’annoncer l’évangile aux juifs, Paul devait le faire en direction des hellénistes. Laissons Bloom piler sa part de foutou, surtout si nous restons la bouche croisée, devant la société ivoirienne en pleine déconfiture ! Shalom !
NB : Un texte du Dr Josué Guébo
Président des écrivains de Côte d’Ivoire
Musicien
Intellectuel et cadre chrétien
