16/09/2025
Septembre 2025 - Menacé de mort !
Je m’appelle Arenui, prénom d’emprunt et je travaille dans le social. Depuis quelques jours maintenant, je suis un agent public menacé de mort. Malheureusement, ce n’est ni une blague, ni un propos exagéré. C’est une triste et dure réalité ! Mon seul tort est d’avoir rempli correctement ma mission, à savoir protéger des enfants du comportement violent d’un de leurs parents. La personne en question est multirécidiviste, connue des services sociaux, médicaux et même de police. Mais en l’absence de plainte, elle a continué à faire régner la tyrannie.
Cette personne vit maintenant la frustration de ne plus pouvoir agir violemment avec ses enfants et elle m’en juge responsable. A grands renfort de hurlements et gestes menaçants, elle m’a donc menacé de mort, y compris devant les forces de police. Elle en a même fait une affaire familiale puisque je suis même menacé de l’intervention du « clan » pour me « faire la peau ». Et compte tenu du regard de l’individu, de ses gestes, de ses mots et de ses antécédents, il ne plaisantait visiblement pas.
Tahiti est petit. La personne violente en question sait parfaitement qui je suis et où se trouve le service où j’exerce. Elle est même venue me chercher sur mon lieu de travail et je ne dois mon sursit qu’aux forces de l’ordre présentes dans nos circonscriptions. Il sait sans doute où j’habite ou il ne t**dera pas à le savoir… car tout se sait à Tahiti. Je suis bien évidemment allé déposer plainte pour alerter la police des menaces qui pèsent sur moi. Mais je suis aussi conscient que s’il se passe quelque chose, la police arrivera trop t**d. La loi ne permet pas d’interpeler quelqu’un sur la base de ses "intentions" supposées ou réelles. Le "délit d’intention" n’existe pas ! Il faut un acte contraire à la loi pour provoquer une interpellation, et la menace de mort n’en fait pas partie. Ma plainte permet une surveillance accrue, mais pas l’interpellation préventive de la personne. J’ai également sollicité la protection juridictionnelle de mon administration, mais il ne s’agit là que d’une protection « administrative ». Elle ne m’épargnera pas un geste violent de la part de l’intéressé.
Cette situation peut paraître extrême à bien des personnes, hélas elle est partiellement devenue le quotidien de tous les agents qui œuvrent dans le social. Ce n’est pas par hasard que depuis quelques années maintenant, un service de sécurité est présent dans tous les locaux reliés à la Direction des Solidarité de la Famille et de l’Égalité (DSFE). Cette sécurité n’est pas non plus arrivée de manière préventive… Elle est une réponse aux violences que ne supportaient plus le personnel.
Dans cette histoire, je ne suis pas le seul à être menacé. La maîtresse d’école qui, avec courage, a prévenu nos services est aussi menacée. Sa vie est donc également en danger. C’est ce que coûte aujourd’hui le fait de se soucier de personnes plus vulnérables que nous-mêmes. C’est ce que coûte aussi le système dans lequel nous vivons.
La personne violente est connue des services sociaux, des services de police, des agents municipaux, des services de santé et cela ne l’empêche pas de continuer librement à se défouler sur ceux qui l’entourent. A ce jour, les victimes n’ont jamais osé porter plainte malgré les interruptions temporaire de travail qui ont suivi ses actes de violence. C’est peut-être là qu’existe une première faille. Pourtant, d’une certaine façon, tout le monde est victime de ce comportement :
• Les services médicaux qui doivent traiter des personnes qui n'auraient jamais dû subir pareil déferlement de violence ;
• Les services sociaux qui consacrent du temps à essayer de mettre des petits pansements sur des plaies béantes ;
• Les services de police et les services municipaux qui sont régulièrement appelés pour intervenir et calmer les situations "tendues" ;
• Les voisins qui supportent de moins en moins les cris, les pleurs et les visages tuméfiés de ceux qui ont été tabassés.
Pour protéger son personnel, et ainsi éviter l’intrusion de personnes violentes et revanchardes, les établissements scolaires pourraient bien à l’avenir se voir doter en permanence d’un service de sécurité. Nous entrerions alors dans un monde où la seule réponse à la violence de quelques-uns serait le déploiement de force de sécurité un peu partout. Est-ce le cadre de vie que nous souhaitons ?
Ce qui me pèse aujourd’hui, c’est que d’expérience, ces personnes violentes qui ruinent la vie de leur entourage et de celle de bien d’autres comme la mienne, sont souvent connues. Elles n’en sont pas à leur "coup d’essai", sans vouloir faire de mauvais jeu de mot. Elles ont en général déjà reçu plusieurs fois la visite des mutoi, de la gendarmerie, des voisins et parfois des services sociaux. Dès la première visite, il est facile de se rendre compte du caractère répétitif des situations violentes et de prédire qu’elles reviendront.
Ces personnes violentes, je ne les juge pas. Mon expérience m’amène à penser qu’elles ont surtout besoin d’aide, d’un suivi psychologique et social. Peut-être que cela en fera sourire certains, mais elles ont en général besoin d’éducation ! Elles ne savent pas comment s’y prendre avec les enfants et leur partenaire. Dans bien des cas, l’exemple auquel elles se réfèrent n’était pas bon. Par ailleurs, personne ne leur a jamais dit qu’elles n’avaient aucune obligation de faire des enfants, surtout si elles n’avaient pas la patience de s’en occuper correctement !
Pour les conducteurs ayant enfreint le code de la route, on propose des stages de sensibilisation, même lorsqu’il n’y a pas eu d’accident. Des associations se sont créées pour épauler les personnes en difficulté avec l’alcool qui souhaitent s’en sortir. La même démarche pointe le bout de son nez pour les personnes désireuses de sortir de la drogue. Pour l’alcool comme pour la drogue, les autorités publiques financent des centres de sevrage. Paradoxalement, pour la violence qui partage certains traits communs avec les addictions, rien ! Aucun lieu d’isolement et de prise en charge. Aucune démarche.
Ce sont les souffre-douleur que l’on déplace, que l’on isole, alors qu’elles ne sont pas la source du problème. Rien que cette logique revient à culpabiliser les victimes ! Le bourreau peut quant à lui poursuivre tranquillement sa vie (ou presque), jusqu’à ce qu’une victime se risque à porter plainte et aller au bout de sa démarche. Si la condamnation est prononcée, l’individu prendra du sursis et sortira librement, ou au mieux, fera un petit tour par la case prison puis sortira rapidement pour « bonne conduite ». En prison il renforcera son caractère et ses pulsions violentes. Echec total de la stratégie !
Pour le travailleur social que je suis, ce sont ces personnes violentes qu’il faut isoler et extraire de leur foyer. Les pouvoirs publics doivent aider les victimes à rester à leur domicile et recouvrer une vie normale chez elles. Quant aux personnes violentes, elles doivent suivre un parcours de réhabilitation ! Elles doivent être confrontées au miroir de leur violence et être amenées à prendre conscience du caractère inacceptable de leur comportement. Elles doivent affronter les dégâts qu’elles provoquent dans leur entourage et souvent sur plusieurs générations.
La proportion de gens violents est-elle plus grande à Tahiti qu’ailleurs ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas de statistiques et de toutes façons peu importe. Cette démarche comparative est la pire qui soit car elle conduit souvent à chercher à se réconforter en se disant « ce n’est pas pire ici qu’ailleurs ». Une tragédie reste toujours une tragédie de trop.
Ce qui compte, ce n’est pas ce qui est fait ailleurs, mais ce qui devrait être fait ici dans notre contexte culturel. Soyons innovants, créons nos propres structures, créons nos propres protocoles pour prendre en charge ces personnes. Faisons évoluer nos approches par nos apprentissages. Notre administration dispose de personnes compétentes : psychologues, travailleurs sociaux, médecins, addictologues, forces de l’ordre, etc. Il ne manque plus qu’un lieu sécurisé et par-dessus tout une volonté politique. Pourtant, dans l’ensemble des solutions existent, non pas pour éradiquer cette violence qui existera toujours sans aucun doute, mais au moins pour la réduire.
En premier lieu, il nous faut préserver un partenariat étroit avec les forces de l’ordre, car ce sont elles qui interviennent physiquement. Si l’on persévère dans la logique de sortir les victimes, il faut logiquement davantage de place pour les recevoir. Il faudrait ainsi démultiplier les places d’accueil dans les foyers, pour les enfants comme pour les femmes en général. Mais insistons sur le fait qu’il faudrait moins de place en établissement spécialisé si l’on isolait les bourreaux plutôt que les victimes !
Comme cela a déjà été rapporté dans une précédente tranche de vie, au Fenua, nous en sommes à 70 enfants par travailleur social dédié à l’enfance. Il faudrait donc doubler le nombre de ces agents pour revenir à des normes acceptables.
Ces situations de maltraitance sont en général détectées à l’école, soit par des absences répétées, soit par des bleus qui apparaissent du jour au lendemain sur le corps des enfants. Les enseignants doivent contribuer à ce que la peur change de camp en démultipliant les signalements et les enquêtes qui s’en suivent. La Direction Générale de l’Enseignement et de l’Education doit en ce sens assumer pleinement ses responsabilités. Bien des enfants placés hors de leur foyer violent ne sont pas rescolarisés par craintes de représailles. Certains enseignants menacent d’exercer leur droit de retrait par peur d’être eux-aussi victimes des comportements violents si les enfants sont de nouveau scolarisés.
La justice devrait elle aussi s’interroger. Sans doute devrait-elle faire preuve de davantage de réactivité et de sévérité. Enfin, les agents sociaux constatent une augmentation sensible des problématiques de consommation et de trafic d’ice dans les familles suivies. Il est donc urgent d’élaborer des dispositifs innovants de prévention et de formation sur la violence et l’addiction.
Voilà, je suis un travailleur social menacé de mort, inquiet pour mes proches et moi-même, car je sais qu’une pulsion non maîtrisée peut conduire au pire. Je ne suis pas le premier dans cette situation, je ne serai sans doute pas le dernier. Je ne serai pas non plus le premier à me prendre des coups, et malheureusement je ne serai vraisemblablement pas le dernier non plus. Quant aux décideurs politiques, je n’attends plus rien d’eux. La détresse qui règne au sein de la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité ne provoque aucune véritable réaction, donc ce n’est pas mon petit cas personnel qui viendra changer quelque chose. D’ailleurs cette problématique du danger au travail ne faisait même pas partie des sujets du dernier séminaire organisé par le gouvernement…