21/11/2025
Je vous partage un texte de Nadine.
𝐋𝐚 𝐑𝐞́𝐮𝐧𝐢𝐨𝐧 𝐩𝐨𝐫𝐭𝐞 𝐝𝐞𝐬 𝐦𝐞́𝐦𝐨𝐢𝐫𝐞𝐬 𝐪𝐮𝐞 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐫𝐞𝐣𝐨𝐮𝐨𝐧𝐬 𝐬𝐚𝐧𝐬 𝐬𝐚𝐯𝐨𝐢𝐫
Il suffit d’écouter les familles créoles pour s’en rendre compte.
Quel réunionnais n'a pas connu la peur du manque ? Cette peur transmise par ceux qui n'avaient rien, ceux qui ont apprit à survivre avec peu, ceux qui travaillaient du lever au coucher sans jamais se reposer.
On rencontre encore chez certains d'entre-nous cette volonté de “porter tout seul” ! Sans doute transmise par les femmes qui ont été laissées seules du fait des départs et des non-retours, de l'engagisme, des déracinements, des déportations... Comme si une mémoire encore bien vivante s'exprimait au travers de nous :"𝑴𝒊 𝒈𝒂𝒊𝒈𝒏 𝒅𝒆́𝒃𝒓𝒐𝒖𝒊𝒍 𝒂̀ 𝒎𝒘𝒊𝒏 !"
Transmis par ceux qui n’avaient pas le droit de parler, nous continuons à garder le silence sur nos douleurs, nos souffrances.
À l’époque de l’esclavage, du servilisme, de la honte sociale, le silence était une protection pour nos aïeux. Plus même, un moyen de survie.
Il n'est donc pas étonnant que pour de nombreuses familles, il demeure "interdit" de nommer ses souffrances et ses ressenties.
Et, cette loyauté familiale ! Envers et contre tous, on en parle ?
Dans l’histoire de l’île, être exclu… c’était mourir.
Alors, il est normal que l'on choisisse de rester “dedans”, même quand “dedans” nous fait souffrir.
Nous répétons sans savoir les schémas de ceux qui ont foulé cette belle terre avant nous. Nous héritons de ces mêmes comportements sans les comprendre.
En psycho-généalogie, c’est ce que nous nommons, 𝐥𝐞𝐬 𝐭𝐫𝐚𝐧𝐬𝐦𝐢𝐬𝐬𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐢𝐧𝐜𝐨𝐧𝐬𝐜𝐢𝐞𝐧𝐭𝐞𝐬.
Puisque nous parlons de transmissions, abordons également les héritages conscients que nous laissent nos familles. Quand un enfant réunionnais naît (ou n'importe quel autre enfant d'ailleurs),
avant même son prénom, il reçoit un nom de famille. C'est son premier héritage.
Et à La Réunion, les noms parlent. Ils parlent même très fort.
Certains noms comme les Lebeau, Hoareau, Payet, Boyer, etc... sont des héritage de colons, d’artisans venus “essayer une vie nouvelle” sur l'île ou encore ayant échoué ici par hasard.
Parfois, ces noms ont été francisé lorsque la personne n'était pas française créant un déracinement encore plus fort.
Certains noms portent des traces de blessure. Ce sont les prénoms transformés en noms lors de l’abolition, parce que les ancêtres n’avaient pas le droit d’en porter. On donnait alors le prénom du maître, du mois, du lieu ou encore le prénom francisé attribué à la mère.
Certains noms portent la trace de l’engagisme. Il s'agit des patronymes indiens qui ont été francisés, ou encore des noms tronqués, des noms imposés sur une identité que l’on n’avait pas choisie.
D’autres encore portent la trace de l’abandon. Je pense alors aux enfants trouvés, aux enfants confiés ou encore aux enfants déclarés sous un nom qui n’était pas le leur.
Le nom de famille, à La Réunion, est donc un acte fondateur. Mais, aussi parfois un acte politique. Il peut également apparaître comme un acte de réparation ou encore de survie.
Le nom de famille est bien plus qu'une simple étiquette administrative. Il est le socle de notre identité. C’est le premier contrat identitaire.
Celui qui dit :
- Tu viens de cette histoire.
- Tu portes cette mémoire.
- Tu repars de là où ils se sont arrêtés.
On n’hérite pas seulement d’un mot. On hérite d’un système (celui du système familial), d’une place (celui de notre place dans l'arbre), d’une blessure ou d’une force (celui d'une transmission souvent invisible mais qui circule quand même).
Comprendre son nom de famille, c'est un cheminement en arrière pour remonter à la source. Et, lorsque l'on explore son nom de famille à La Réunion, on ouvre une première porte. Celle-là même qui mène à la mémoire collective.
Le nom est comme un tambour. Il résonne. Il appelle. Il raconte.
Il dit ce que les ancêtres n’ont pas pu dire, et ce que nous continuons, malgré nous, à porter.
Et tant que personne ne regarde, tant que personne ne se met à poser des questions, tant que personne ne décide de changer les choses, de les faire évoluer… les transmissions inconscientes continuent, de génération en génération.
Mais le jour où l’on comprend, où l’on met des mots, où l’on rend à l’histoire ce qui appartient à l’histoire,
Alors enfin, on peut dire à nos ancêtres « Je vous honore, mais je choisis ma vie. »
𝐍𝐚𝐝𝐢𝐧𝐞 𝐕𝐢𝐧𝐠𝐚𝐭𝐚𝐦𝐚𝐥𝐞́
𝑷𝒔𝒚𝒄𝒉𝒐𝒈𝒆́𝒏𝒆́𝒂𝒍𝒐𝒈𝒊𝒆 · 𝑰𝒅𝒆𝒏𝒕𝒊𝒕𝒆́ 𝒓𝒆́𝒖𝒏𝒊𝒐𝒏𝒏𝒂𝒊𝒔𝒆