BAC Litteraire

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04/04/2019
18/01/2019

La litterature est l'ensemble des oeuvres ecrits ou orales ayant une visée esthetique ou morale

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22/09/2017
29/05/2017

CONSCIENCE ET INCONSCIENT
La conscience et l’inconscient font partie du groupement « le sujet ».Leurs thématiques sont liées à la question « Qu’est-ce que l’homme ? » que Kant considère comme celle la philosophie dans son ensemble. Avec le « désir », ces notions permettent aussi d’aborder de nombreux sujets portant sur la liberté. Voilà pourquoi vous y serez particulièrement attentifs.

On admet généralement que la conscience est le propre de l'être humain au même titre que la raison. Pourtant, la conscience est une forme de présence au monde qui semble commune à certains animaux et aux êtres humains. On distinguera donc la conscience spontanée, commune aux animaux supérieurs et à l'homme, et la conscience réfléchie, propre aux êtres humains.



La conscience est le propre de l’homme

L’étymologie du mot, littéralement « savoir (scientia) avec (cum) » suggère l’idée d’un accompagnement. Par la conscience, une représentation du monde m’accompagne. Mais en même temps, la conscience est ce qui me place en position de sujet, seul, parmi tous les êtres vivants, à posséder le sentiment de mon existence. De Socrate (« Connais-toi toi-même ») à Kant, les philosophes classiques accordent donc à la conscience une place centrale : « Qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est ce que cela ? C’est bien une chose qui doute, qui connaît, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent » (Méditations Métaphysiques 2) Le philosophe Pascal récuse pour sa part l’idée de conscience « substance » (« une chose » pensante) et lui préfère la métaphore du roseau qui évoque non seulement la grandeur de l’homme mais aussi sa fragilité : « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. Pensée fait la grandeur de l’homme […]
L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature. Mais c’est un roseau pensant »

Toute conscience est une conscience morale

La conscience serait donc la capacité de se séparer de soi-même pour se « représenter » soi-même. Elle constitue notre dignité mais aussi notre douleur. Tout d’abord la conscience implique la responsabilité de nos actes. J’ai conscience de mon unité malgré la diversité de mes pensées ou de mes sentiments : le fait de dire « Je » en témoigne, et ceci dans toutes les langues ou cultures, même si ce mot n’existe pas séparément : « Posséder le « Je » dans sa représentation : ce pouvoir, écrit Kant, élève infiniment l’homme au-dessus de tous les êtres vivants sur la terre. Par là il est une personne… » (Anthropologie du point de vue pragmatique). Mais cette aptitude à nous reconnaître dans nos propres actes, qui n’est pas dissociable de la liberté, est aussi source de souffrance. Puisque je suis conscient de ce que je fais, je dois en répondre devant les tribunaux humains mais aussi devant ma propre conscience, à laquelle je ne peux échapper. Un homme sans conscience ne serait plus un homme. Or il arrive que notre conscience nous tourmente malgré nous, en nous reprochant des actes ou des pensées que nous n’avons pas voulus.

La communication des consciences

La philosophie classique a eu tendance à considérer la conscience comme auto-suffisante, à la suite de Descartes : « Or maintenant je sais avec certitude que je suis, et en même temps, qu’il se peut que toutes ces images et généralement que tout ce qui est rapporté à la nature du corps ne soient rien que des rêves ». Aujourd’hui, on ne considère plus la conscience comme une sorte de bulle ou de ballon susceptible d’accueillir le monde entier pour le représenter ou l’exprimer. A la suite notamment de Husserl, la philosophie moderne insiste sur le caractère ouvert de la conscience : « toute conscience est conscience de quelque chose ». Les phénoménologues (Husserl, Merleau-Ponty) nomment « intentionnalité » cette structure d’ouverture de la conscience : nous avons besoin de l’autre pour accéder à nous-mêmes. « L’autre est le médiateur entre moi et moi-même » (Sartre). La psychanalyse confirme ce point de vue. La conscience n’est pas entièrement transparente à elle-même, ni maîtresse d’elle-même. Pour nous comprendre nous même, pour nous construire, nous avons besoin des autres. La conscience n’est donc pas le miroir de tout l’univers, mais plutôt un miroir de miroirs qui répercute sans fin les images entrelacées de nous-mêmes, des nos proches et de l’univers dans son ensemble. On appelle « intersubjectivité » la communication immédiate et intuitive des consciences entre elles.

Sujets de dissertation

Que peut-on savoir de soi ?
La conscience de soi suppose-t-elle autrui ?
Toute prise de conscience est-elle libératrice ?
La conscience de ce que nous sommes fait-elle obstacle au bonheur ?







L’inconscient

La conscience et l’inconscient font partie du groupement « le sujet ».Leurs thématiques sont liées à la question « Qu’est-ce que l’homme ? » que Kant considère comme celle la philosophie dans son ensemble. Avec le « désir », ces notions permettent aussi d’aborder de nombreux sujets portant sur la liberté. Voilà pourquoi vous y serez particulièrement attentifs.

Lorsque Freud (1856-1939), à la fin du 19e siècle, présente à ses pairs sa théorie de l’inconscient, il rencontre une très vive résistance. La notion d’inconscient est apparue scandaleuse pour deux raisons ; d’une part, parce qu’elle semblait remettre en cause la liberté de l’homme et la maîtrise qu’il était supposé avoir sur lui-même. D’autre part, parce que la région dite « inconsciente » de notre vie psychique semble faire la part belle à la sexualité.

Prémisses de la notion d’inconscient

Ni le sens commun ni les philosophes n’ont attendu Freud pour découvrir qu’une partie de notre propre psychisme nous échappe parfois. Un homme qui tombe dans le coma est inconscient, un dangereux chauffard l’est aussi, en ce sens qu’il ne sait plus ce qu’il fait. Chez Platon, on trouve l’idée de souvenirs inconscients de la vérité contemplée dans une autre vie (théorie de la réminiscence). Leibniz (1646-1716) a formulé la thèse des « petites perceptions » inconscientes : « Il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous… c’est-à-dire des changements en l’âme même dont nous ne nous apercevons pas » (Essai sur l’entendement humain). La notion d’inconscient est ici en place, mais elle n’est pas encore conceptualisée ni bien définie.

La théorie de Freud

L’inconscient chez Freud devient un substantif. Il désigne une partie de nous-mêmes, ou plus exactement une zone de notre esprit où sont stockés une foule de souvenirs, de fantasmes, de désirs inavouables, que nous ne pouvons pas atteindre car une résistance en nous s’y oppose. L’inconscient est donc une sorte de sous-sol de notre vie psychique où nous plaçons tout ce qui heurte notre conscience. Le refoulement est la notion clef de la théorie freudienne. Le psychisme comporte trois « instances » : le « ça » qui englobe l’ensemble de nos pulsions, le « sur-moi », qui est en nous le représentant de l’exigence morale, et le « moi » qui est le médiateur, autrement dit cette mini-personne en nous-même qui s’efforce de réconcilier les différents points de vue.

Les objections

Les contemporains de Freud ont estimé que sa théorie était fantaisiste et non scientifique car elle ne reposait sur aucune donnée observable : par définition, l’inconscient est hors d’atteinte. Freud a répondu que son hypothèse était pourtant justifiée car l’inconscient se manifeste de façon indirecte, comme dans les rêves, les actes manqués mais aussi bien sûr la maladie mentale. De plus la théorie psychanalytique a porté ses fruits en apportant un soulagement aux patients. Aujourd’hui, les critiques se sont déplacées. Elles tournent surtout autour de la question de la responsabilité. Si un autre moi me gouverne que je ne connais pas, comment puis-je encore me croire libre ? Telle est la principale objection adressée à Freud par le philosophe Alain.

Sujets de dissertation

Puis-je invoquer l’inconscient sans ruiner la morale ?
Sur quelles raisons pouvons-nous nous appuyer pour admettre l’existence de l’inconscient ?
Peut-on à la fois admettre la liberté de l’homme et supposer l’existence de l’inconscient.

29/05/2017

NATURE ET CULTURE (FICHE DE RÉVISION)
La culture s'entend d'abord par opposition à la nature : est naturel, ce qui se fait toutseul ; est culturel ce qui porte la trace du travail humain. Le petit chemin de campagne nous semble donc plus naturel que la grande ville ; ...
mais les chemins, les champs et la campagne elle-même n'ont rien de naturel ! Partout, on peut y voir la main de l'homme qui a travaillé et aménagé ce qui l'entoure. Alors, l'homme a-t-il seulement accès à une « nature », ou n'est-il pas entièrement un être de culture ?
1. Quels sont les sens du mot « nature » ?

• « Nature » a deux sens en français, puisqu'on parle aussi de la « nature » d'une chose. En fait, ces deux sens ont la même origine : nature vient du latin nascor, naître. La nature d'une chose, c'est ce qu'elle était en quelque sorte « à la naissance », avant toute modification.
• Aristote définit la nature comme ce qui est à l'origine de son propre mouvement : contrairement à l'horloge qu'on doit remonter, la plante semble pousser « toute seule ». En ce sens, la nature s'oppose aussi bien à la technique qu'à la culture, qui désignent les différents produits de l'action humaine.

2. Peut-on définir ce qu'est la nature ?

• Pour les Grecs, la nature n'est pas créée par un Dieu, elle est la source de son propre mouvement. Cette interprétation est remise en cause par la philosophie chrétienne : la nature étant créée par Dieu, elle n'a aucune autonomie ; c'est en quelque sorte une mécanique dont Dieu est l'horloger (Voltaire).
• Cette conception remonte à Descartes et à la doctrine de la création continuée : la nature n'a pas été créée une fois pour toutes, Dieu est obligé à chaque instant d'y réintroduire du mouvement. Cette doctrine a pour conséquence de mécaniser la nature ; elle devient prévisible : une science de la nature devient possible, alors qu'elle était impensable pour les Grecs.
3. La nature est-elle pensable en-dehors de la culture ?

C'est toujours à partir d'une langue donnée et dans une interprétation donnée du monde que l'homme détermine ce qu'est pour lui la nature : on voit bien alors que le sens qu'a le mot « nature » est lui-même culturel ; d'ailleurs, il a radicalement changé de signification entre Aristote et nous. Nous pensons donc la nature à partir de notre culture.

4. L'homme est-il un être de nature ?

Toute culture a d'abord commencé par ritualiser nos pulsions biologiques : par exemple, on ne mangera pas n'importe quoi, n'importe quand et n'importe où ; certains aliments seront consommés crus, et d'autres cuits (Levi-Strauss). Ces formes symboliques fondamentales que sont les manières de la table, mais aussi l'organisation de la parenté par l'institution des alliances et du mariage, nous coupent radicalement de toute nature, même lorsque nous obéissons à des nécessités biologiques (se nourrir, dormir, se reproduire) : l'homme vit dans un monde entièrement cultivé, et son rapport à lui-même comme à la nature hors de lui est d'emblée culturel. La culture est l'acte par lequel l'homme se pose comme distinct de la nature.
Ainsi, les travaux des ethnologues nous montrent que les indiens d'Amazonie passent de longues heures à s'épiler, à se parer, à se tatouer, pour se différencier le plus possible des animaux : l'homme interpose entre lui et l'animalité des symboles et des rites qui constitueront le monde humain.

5. Comment penser le rapport nature / culture ?

• Là où commence l'humanité, la nature s'arrête : l'homme a « cultivé et humanisé la nature » (Marx) , il se l'est appropriée par le travail, par la technique et le langage.
Ainsi les paysages que nous pouvons voir sont le fruit d'un très long travail humain : ils ont été aménagés, cultivés, modifiés de façon à satisfaire nos besoins ; regarder par la fenêtre, ce n'est pas voir la nature, c'est voir ce que Hegel nommait l'esprit objectif, c'est-à-dire l'esprit humain qui s'est déposé dans des choses (car un champ ne pousse pas tout seul !).
• Un homme à l'état de nature ne serait pas un homme, mais un animal : ainsi, le langage humain (à la différence du langage animal) n'est pas inné, mais acquis.
En apprenant le langage, le petit enfant hérite en fait d'une tradition et d'un savoir qui s'est peu à peu accumulé au cours des siècles : alors que chez l'animal, tout recommence à zéro à chaque génération, avec l'homme, c'est le progrès qui devient possible. La culture est donc tout ce par quoi nous avons définitivement quitté le domaine de la nature pour entrer dans celui de la civilisation, et d'abord en adoptant ce mode de vie propre à l'homme qu'est la vie en communauté.

La citation

Pour l'homme, l'état de nature « est un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais. » (Jean-Jacques Rousseau)

29/05/2017

LA LIBERTÉ

A première vue, la liberté consiste donc à pouvoir faire ce qu'on veut. C'est la liberté d'agir.

Hobbes a défini ainsi la liberté :

Le mot LIBERTÉ désigne proprement l’absence d’opposition (par opposition, j’entends les obstacles au extérieurs au mouvement), et peut être appliqué aux créatures sans raison ou inanimées aussi bien qu’aux créatures raisonnables. Si en effet une chose quelconque est liée ou entourée de manière à ne pas pouvoir se mouvoir, sauf dans un espace déterminé, délimité par l’opposition d’un corps extérieur, on dit que cette chose n’a pas la liberté d’aller plus loin. C’est ainsi qu’on a coutume de dire des créatures vivantes, lorsqu’elles sont emprisonnées ou retenues par des murs ou des chaînes, ou de l’eau lorsqu’elle est contenue par des rives ou par un récipient, faute de quoi elle se répandrait dans un espace plus grand, que ces choses n’ont pas la liberté de se mouvoir de la manière dont elles le feraient en l’absence d’obstacles extérieurs. Cependant, quand l’obstacle au mouvement réside dans la constitution de la chose en elle-même, on a coutume de dire qu’il lui manque, non pas la liberté, mais le pouvoir de se mouvoir ; c’est le cas lorsqu’une pierre gît immobile ou qu’un homme est cloué au lit parlamaladie
D’après le sens propre (et généralement admis) du mot, un HOMME LIBRE est celui qui, s’agissant des choses que sa force et son intelligence lui permettent de faire, n’est pas empêché de faire celles qu’il a la volonté de faire



I. Les lois s'opposent-elles à la liberté ?

A. Les lois limitent la liberté individuelle

A première vue, la liberté ainsi définie s'oppose à la loi, car la loi constitue bien une entrave extérieure à l'action individuelle.

Les lois humaines seraient donc des entraves à la liberté, et nous serions plus libres à l'état de nature qu'à l'état social. La liberté culminerait dans l'anarchie. Le slogan des anarchistes est d'ailleurs : « La liberté ou la mort ! »

B. Les lois sont la condition de la liberté collective

Mais si la loi m'interdit de nuire à autrui (et limite ainsi ma liberté), elle interdit aussi à autrui de me nuire. Ce que je perds en liberté, je le gagne donc en sécurité. La liberté de chacun s'arrête là où commence celle d'autrui, et pas avant, comme l'affirme la Déclaration des droits de l'homme de 1789 :

Certes, la sécurité n'est pas la liberté. Mais en un sens la sécurité est une condition de la liberté. Je me sens plus libre de sortir le soir dans la rue si la loi est appliquée qu'en temps de guerre civile. De même, je me sens plus libre d'aller et venir dans un Etat réglé par des lois que dans une jungle où je risque à chaque instant d'être attaqué par une bête sauvage.

Ici, la question est de savoir si l'homme est fondamentalement bon ou mauvais. Pour être anarchiste il faut penser que l'homme n'est pas un loup pour l'homme, ou en tout cas qu'il est capable de vivre harmonieusement sans qu'un Etat ne soit nécessaire pour régler les éventuels conflits.

La loi est donc la condition de la liberté dans la mesure où elle assure la sécurité. Mais il faut aller plus loin : au-delà de la sécurité, la loi permet à l'action collective de se déployer. Pensons par exemple à la liberté d'entreprendre, qui est rendue possible par la loi qui assure le respect des contrats. De manière plus générale, si au lieu de penser seulement à la liberté individuelle on essaie de penser ce que peut être la liberté collective, c'est-à-dire comment organiser l'action entre les hommes, alors on peut penser que la loi est la condition de cette liberté.

C'est ce que disait Spinoza :

L'homme raisonnable est plus libre dans la cité où il vit sous la loi commune que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même.



II. La liberté intérieure est-elle inaliénable ?

La liberté a d'abord été conçue dans le domaine de l'action et de la politique. Il s'agit alors de la liberté de faire, et l'homme libre s'oppose au prisonnier ou à l'esclave. C'est là un concept de liberté qui a le mérite d'être clair et facile à comprendre. Mais on en est venu à se demander si la volonté elle-même est libre. Or il n'est pas évident du tout de savoir ce que signifie la liberté de la volonté.

Le champ où la liberté a toujours été connu, non comme un problème certes, mais comme un fait de la vie quotidienne, est le domaine politique. [...]
En dépit de la grande influence que le concept d’une liberté intérieure non politique a exercé sur la tradition de la pensée, il semble qu’on puisse affirmer que l’homme ne saurait rien de la liberté intérieure s’il n’avait d’abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dans le monde. Nous prenons conscience d’abord de la liberté ou de son contraire dans notre commerce avec d’autres, non dans le commerce avec nous-mêmes. Avant de devenir un attribut de la pensée ou une qualité de la volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l’homme libre, qui lui permettait de se déplacer, de sortir de son foyer, d’aller dans le monde et de rencontrer d’autres gens en actes et en paroles. […]
[L]e cœur humain, nous le savons tous, est un lieu très obscur, et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être désigné comme un fait démontrable. La liberté comme fait démontrable et la politique coïncident et son relatives l’une à l’autre comme deux côtés d’une même chose.

Hannah Arendt, La Crise de la culture, « Qu’est-ce que la liberté ? »

A. La liberté intérieure semble inaliénable

1. La liberté de penser

Qu'est-ce donc que la liberté intérieure ?

C'est d'abord la liberté de penser. Je suis parfaitement libre, remarquait Descartes, d'adhérer ou non à une idée. Personne ne peut me forcer à croire ou non une chose, et d'ailleurs personne ne peut même savoir ce que je pense. On peut donc me forcer à agir (par exemple à adopter les signes extérieurs d'une religion qui n'est pas la mienne, ou à abjurer publiquement mon dieu), mais non à penser telle ou telle chose.

La liberté de penser est donc une liberté évidente et indubitable, qui s'éprouvedirectement.

Et pourtant, on peut déjà critiquer ce point de vue. Le mathématicien est-il véritablement libre ? D'un certain point de vue, non, car il est soumis à la raison. On est plus libre quand on traite une rédaction de français qu'une dissertation de philosophie. Dans la mesure où on pense, on se guide en effet sur la vérité que l'on cherche à reconnaître et à exprimer. Personne ne peut m'obliger à accepter ou non une idée, mais quelque chose en moi m'y oblige tout aussi impérieusement : ma raison.

Toute la difficulté est de savoir si cette obéissance à la raison est une restriction de ma liberté – auquel cas on devra dire que le fou ou le sot sont plus libres que le sage – ou si au contraire ma liberté culmine dans la lucidité et l'obéissance à la raison...

2. La liberté de vouloir

Outre la liberté de penser, il y a la liberté de vouloir.

Le stoïciens disent ainsi que ma liberté fondamentale réside en mon esprit : je suis libre de vouloir telle ou telle chose, d'accorder de la valeur à telle ou telle chose. Or toute action découle de ma volonté. Par conséquent mon action est, elle aussi, toujours parfaitement libre :

Homme, tu possèdes par nature une volonté qui ne connaît ni obstacles ni contraintes : voilà ce qui est écrit dans ces entrailles. Je te le ferai voir d’abord à propos de l’assentiment. Y a-t-il quelqu’un qui puisse t’empêcher d’adhérer à la vérité ? Personne ; tu vois bien que, en cette matière, ta volonté ne rencontre ni contrainte, ni obstacle, ni empêchement. Eh bien ! en est-il autrement dans le cas des désirs et des tendances ? Qui peut vaincre une tendance, sinon une autre tendance ? un désir ou une aversion, sinon un autre désir ou une aversion ? Si l’on me menace de mort, dis-tu, on me contraint ? Ce n’est pas cette menace qui te contraint d’agir, c’est l’opinion que tel ou tel acte est préférable à la mort ; c’est donc bien encore ton jugement qui t’y oblige ; c’est la volonté qui oblige la volonté.

Epictète, Entretiens, livre I, chap. 17

On ne décide pas des circonstances, mais la situation étant donnée on a toujours le choix. Pour être libre il suffit donc de savoir distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas :

Souviens-toi donc de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d’autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d’un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l’âme inquiète, tu t’en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de doit, que dépend d’autrui ce qui réellement dépend d’autrui, tu ne te sentiras jamais contraint à agir, jamais entravé dans ton action, tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras aucun acte qui ne soit volontaire ; nul ne pourra te léser, nul ne sera ton ennemi, car aucun malheur ne pourra t’atteindre.

Epictète, Manuel, I, 1

Il existe donc un lien intime entre la liberté et la mort. L'homme qui est prêt à mourir est parfaitement libre, car personne ne peut le contraindre, les menaces n'ont aucun effet sur lui.

Mais il en va ici un peu comme pour la liberté de penser : certes, personne ne me contraint de l'extérieur à vouloir ceci ou cela. Mais suis-je vraiment libre de préférer la mort à la souffrance du travail ? Je ne ressens guère cette liberté de volonté, et j'ai plutôt l'impression d'être soumis à mon corps, à mes peurs et mes souffrances. Là encore, c'est une force intérieure qui me lie, mais elle n'en est pas moins impérieuse, bien au contraire.

Je ne serais donc pas soumis à autrui mais à moi-même, à la nature humaine.

3. L'homme est condamné à être libre

Sartre prend le contre-pied de cette idée. Prolongeant la théorie des stoïciens, il affirme que l'homme est parfaitement libre, car il n'existe pas de nature humaine, ni de Dieu, ni d'inconscient, ni aucune excuse de la sorte qui nous permettrait de nous défausser de notre liberté et de notre responsabilité fondamentales.

L'homme est donc libre, absolument libre, car libre de se créer lui-même. En effet l'homme n'est pas ce qu'il est mais ce qu'il fait. « L'existence précède l'essence. » La nature humaine n'existe pas car l'homme n'est rien d'autre que la somme des ses actes.

La seule chose dont nous ne sommes pas libres, c'est donc de renoncer à notre liberté. D'où la formule de Sartre : « L'homme est condamné à être libre. »

Dostoïevski avait écrit : « Si Dieu n’existait pas tout serait permis. » C’est là le point de départ de l’existentialisme. En effet, tout est permis si Dieu n’existe pas, et par conséquent l’homme est délaissé, parce qu’il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de s’accrocher. Il ne trouve d’abord pas d’excuses. Si, en effet, l’existence précède l’essence, on ne pourra jamais expliquer par référence à une nature humaine donnée et figée ; autrement dit, il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, l’homme est liberté. Si, d’autre part, Dieu n’existe pas, nous ne trouvons pas en face de nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite.
Ainsi nous n’avons ni derrière nous, ni devant nous, dans le domaine lumineux des valeurs, des justifications ou des excuses. Nous sommes seuls, sans excuses. C’est ce que j’exprimerai en disant que l’homme est condamné à être libre. Condamné, parce qu’il ne s’est pas créé lui-même, et cependant libre, parce qu’une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu’il fait.

Jean-Paul Sartre (1905-1980), L’Existentialisme est un humanisme (1946)

B. La liberté intérieure dépend de la liberté extérieure

1. Critique du stoïcisme et de l'existentialisme

On peut tout de même adresser quelques critiques aux théories précédentes :

La liberté de vouloir dont parlent les stoïciens est la liberté d'éviter le mal par le pire (par exemple : l'esclave est « libre » de mourir plutôt que de travailler) : belle liberté !Comme on l'a vu, la volonté n'est pas vraiment libre : elle ne dépend que de nous, mais de cela elle dépend fortement ! Nous ne sommes pas plus libre de vouloir autre chose que ce que nous voulons, que nous ne sommes libres d'être autre chose que ce que nous sommes. (Vous me suivez ? )Finalement l'existentialisme sartrien apparaît davantage comme une posture moralequ'autre chose : ce n'est pas vraiment une théorie qui décrit la réalité mais surtout une attitude, un regard porté sur l'homme qui le responsabilise. (Je ne veux pas dire que cette posture n'est pas intéressante. C'est là une autre question...)

2. Liberté de penser et liberté d'expression

Cela dit, on peut remarquer que la liberté intérieure dépend en grande partie de la liberté extérieure.

En particulier, la liberté de penser dépend directement de la liberté d'expression. Contrairement aux apparences on ne pense jamais seul. C'est dans le dialogue aux autres que l'on pense. Je penserai donc bien mieux dans un pays où règne la liberté d'expression, et où je peux discuter avec autrui, lire des journaux et des livres, etc., que si je vis en ermite replié sur moi-même ou dans une dictature sans véritable liberté d'expression.

C. L'insoutenable légèreté de l'être

1. Voulons-nous vraiment être libres ?

Concernant la liberté intérieure, il est intéressant de remarquer que l'homme ne désire pas vraiment cette liberté. La liberté de penser par soi-même est un fardeau qui fait peser une lourde responsabilité sur nos épaules, et il est bien plus facile de fuir cette liberté en pensant comme tout le monde et en se réfugiant dans l'idéologie du moment.

Ainsi selon Kant, paresse et lâcheté sont les causes de notre persistante aliénation mentale.

2. L'aliénation

Ceci permet de comprendre les multiples formes d'aliénation : outre l'idéologie, il y a la soumission quotidienne à l'opinion et aux valeurs dominantes : l'homme moderne a tendance à penser comme « On » pense, à lire ce qu'« On » lit, à parler de ce dont « On » parle, etc.

Martin Heidegger, philosophe existentialiste, a élaboré cette théorie de l'aliénation, qui prolonge la théorie de Marx.

On trouve également chez Kierkagaard, précurseur de l'existentialisme, cette formule : « La foule, c'est le mensonge. »

Enfin, si vous êtes intéressés par ce regard critique sur l'homme contemporain, je vous recommande chaudement la lecture de la très courte nouvelle de Tolstoï intitulée La Mort d'Ivan Illich et qui résume bien plus agréablement que n'importe quel ouvrage philosophique l'attitude que dénoncent les existentialistes.

Pour désigner notre refus de la liberté, Kundera parle d'une insoutenable légèreté de l'être, titre de l'un de ses romans.

On retrouve cette idée un peu partout :

Chez Dostoïevski : « Il n’y a rien de plus séduisant pour l’homme que le libre arbitre, mais aussi rien de plus douloureux. » (Les Frères Karamazov, V, V : « Le Grand Inquisiteur »)Chez Albert Camus : « J’ai appris moi aussi que j’avais peur de la liberté. Vive donc le maître, quel qu’il soit, pour remplacer la loi du ciel. » (La Chute)

Et enfin chez Hegel, avec qui nous pouvons conclure : « Il est plus facile d’être esclave que maître. »

III. Déterminisme et liberté

Il y a une oppostion fondamentale entre notre intuition de la liberté (je sens que je peux déplacer ma main à gauche ou à droite) et l'idée scientifique du déterminisme (les mêmes causes produisent les mêmes effets, c'est-à-dire que la cause détermine l'effet).

A. Quelques mots sur le déterminisme

Cette idée du déterminisme de la nature était en vogue au XIXe siècle. Laplace concevait l'univers comme une horloge : un esprit omniscient qui connaîtrait l'état de l'univers à un instant donné, ainsi que ses lois d'évolution, pourrait en déduire son état à tout instant futur. Au XXe siècle, de nombreuses théories scientifiques ne sont plus formulées par des équations déterministes mais par des modèles statistiques. Par exemple, la mécanique quantique prédit seulement la probabilité pour qu'un tel événement se produise ou non. Certains philosophes se basent là-dessus pour affirmer que le monde n'est pas déterminé, et qu'il existe une indétermination fondamentale au cœur même de la matière.

A ce sujet je tiens à insister sur quelques points :

Premièrement, il faut être extrêmement prudent dans l'interprétation des résultats de la science en général et de la mécanique quantique en particulier, car les scientifiques eux-mêmes n'y comprennent pas grand-chose et les philosophes encore moins (en général).Deuxièmement, les conclusions à tirer de la mécanique quantique sont loin d'être claires. On peut penser que ces modèles statistiques ne prouvent pas quelque indétermination fondamentale que ce soit mais témoignent seulement de notre incompréhension des mécanismes fondamentaux, un peu comme si on décrivait le lancer d'un dé par une loi statistique faute de pouvoir calculer sa trajectoire exacte et de prédire ainsi le résultat de l'expérience. D'ailleurs Einstein lui-même est toujours resté déterministe, malgré les succès de la mécanique quantique : « Dieu ne joue pas aux dés », disait-il.J'ajouterais même que le fait qu'une loi statistique s'applique prouve, en un sens, l'existence d'un déterminisme à l'œuvre. Pour reprendre l'exemple simple du dé, celui-ci ne sera régi par une loi statistique que s'il est parfaitement symétrique ; il suffit qu'il soit déséquilibré ou déformé pour que les résultats soient faussés. Peut-être que si la nature était véritablement indéterminée les lois statistiques (loi des grands nombre notamment) elles-mêmes ne pourraient la décrire.

Le déterminisme est une hypothèse métaphysique, au sens où elle ne peut sans doute pas être tranchée par l'expérience. Plus précisément, on ne pourra jamais prouver que le monde est déterminé. Même un très grand nombre de causes produisant toujours les mêmes effets ne prouveront jamais qu'il n'est pas possible qu'un autre résultat surgisse à la prochaine expérience.

En revanche, on pourrait bien démontrer l'indéterminisme : il suffirait de réaliser deux expériences rigoureusement identiques et d'observer deux résultats différents. Le seul problème, mais il est de taille, est que nous ne parviendrons sans doute jamais à produire deux expériences rigoureusement identiques. Souvenez-vous de Pascal : il n'y a pas deux grains de raisins identiques...

Ces difficultés étant soulignées, j'insisterai sur un dernier point, un argument philosophique cette fois : c'est qu'il nous est très difficile d'imaginer l'indéterminisme. Quand on y pense, l'idée qu'une même cause puisse produire deux effets différents est très difficilement concevable, elle heurte l'esprit scientifique dans son fondement même. D'où viendrait, en effet, la différence ? Peut-être est-ce là un préjugé, mais nous ne sommes guère capables de renoncer à l'hypothèse déterministe. Remettre en cause le déterminisme, c'est remettre en cause l'idée même de causalité...

B. Le libre arbitre

Commençons par exposer la conception de la liberté qui s'oppose au déterminisme : la liberté comme libre arbitre. Je distinguerai ici deux types de libre arbitre.

1. La liberté comme acte gratuit

Souvenez-vous : la liberté métaphysique, la liberté de la volonté, a été conçue par un déplacement du concept de liberté des actions vers la volonté. Or la liberté d'action était définie comme l'absence d'entraves ; par suite on conçut naturellement la liberté de la volonté aussi comme absence d'entrave, absence de détermination.

Si ma volonté est influencée par mes parents, mes amis, mes professeurs ou la télévision, je ne suis pas libre, je suis aliéné. En suivant ce fil de pensée certains philosophes en sont venus à imaginer que la liberté de la volonté réside dans son indépendance absolue à l'égard de toute cause. L'acte libre serait l'acte gratuit, c'est-à-dire un acte sans cause ni raison, qui échapperait à la grande chaîne de la causalité. La liberté serait cette capacité humaine, un peu miraculeuse, d'initier une chaîne causale à partir de rien. Le modèle de cette liberté est la liberté divine qu'aurait eue Dieu de se créer lui-même : selon les théologiens Dieu estcausa sui, cause de soi, ce qui existe par soi-même.

Le romancier André Gide avait une telle conception de la liberté :

J’ai longtemps pensé que c’est là ce qui distingue l’homme des animaux, une action gratuite… Et comprenez qu’il ne faut pas entendre par là une action qui ne rapporte rien, car sans cela… Non mais gratuit, un acte qui n’est motivé par rien. Comprenez-vous ? Intérêt, passion, rien… L’acte désintéressé ; né de soi ; l’acte aussi sans but ; donc sans maître ; l’acte libre, l’acte autochtone.

André Gide, Le Prométhée mal enchaîné

André Gide a mis en scène une telle liberté dans son roman Les Caves du Vatican : alors qu’il est dans un train, le héros, Lafcadio, décide de commettre un acte – un meurtre – à partir de raisons purement arbitraires :

– Là, sous ma main, cette double fermeture – tandis qu’il est distrait et regarde au loin devant lui – joue, ma foi ! plus aisément encore qu’on eût cru. Si je puis compter jusqu’à douze, sans me presser, avant de voir dans la campagne quelque feu, le tapir est sauvé. Je commence : Une ; deux ; trois ; quatre ; (lentement ! lentement !) cinq ; six ; sept ; huit ; neuf… Dix, un feu…

André Gide, Les Caves du Vatican

Mais cet acte est-il vraiment gratuit ? Il a bien une cause : la lumière dans la campagne. Et il y a même une volonté à l'origine de cet acte : prouver que l'homme est libre.

De plus, que vaut une telle liberté ? C'est la liberté de prendre nos décisions au hasard. Il faut bien comprendre que cette idée ne nous intéresse guère. Certes, il serait beau, en un sens, de pouvoir prouver que l'homme a la capacité d'échapper au déterminisme universel de la nature, mais nous ne voulons pourtant pas que nos décisions soient prises de manière aléatoire en nous-mêmes !

Conclusion : l'acte gratuit n'existe sans doute pas, et surtout il ne nous intéresse pas.

2. La liberté comme indépendance à l'égard de nos instincts

Ce second concept du libre arbitre est, au contraire, très intéressant car il est la condition de possibilité de l'action morale. Si je trouve un portefeuille dans la rue, j'ai le devoir moral de le rendre. Or pour cela, il faut que j'aie la liberté de m'opposer à mes désirs, en l'occurrence à mon désir égoïste de garder l'argent pour moi.

La seule conscience de ce devoir prouve d'ailleurs que nous avons cette liberté. Nous ne sentirions pas en nous le devoir de faire une chose, si nous n'avions pas la possibilité de faire cette chose. C'est ce que voulait dire Kant par cette formule énigmatique : « Tu dois donc tu peux ».

Rousseau voit dans cette liberté, plutôt que dans l'intelligence, la véritable différence entre l'homme et l'animal :

Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J’aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l’homme concourt aux siennes, en qualité d’agent libre. L’un choisit ou rejette par instinct, et l’autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s’écarter de la règles qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l’homme s’en écarte souvent à son préjudice. C’est ainsi qu’un pigeon mourrait de faim près d’un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grain, quoique l’un et l’autre pût très bien se nourrir de l’aliment qu’il dédaigne, s’il s’était avisé d’en essayer. [...]
Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu’il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête ; ce n’est donc pas tant l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction de l’homme que sa qualité d’agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L’homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d’acquiescer, ou de résister.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Discours sur l’origine de l’inégalité (1755)

Tout le problème est de savoir comment nous pouvons nous opposer à un désir. Ne faut-il pas toujours un autre désir pour s'opposer à un désir ? Kant tente de conceptualiser la possibilité d'une volonté autonome, c'est-à-dire capable d'être déterminée par la raison seule. Mais il faut bien reconnaître que du point de vue psychologique, l'idée d'un acte purement désintéressée est incompréhensible : comment un être vivant peut-il faire un effort s'il n'a rien à obtenir en retour ?

Nietzsche propose un argument subtil pour expliquer l’illusion de liberté que nous ressentons : nous croyons que notre volonté se réalise toujours parce que nous appelons « notre volonté » celui de nos désirs qui l’a emporté sur les autres et qui donc se traduit en actes : nous avons en nous une guerre civile de désirs, mais nous nous identifions à celui qui emporte la bataille, créant ainsi l’idée fictive d’un « moi » unitaire :

Ce qu’on nomme « libre arbitre » est essentiellement notre sentiment de supériorité à l’égard de celui qui doit obéir. […] Un homme qui veut commande en lui-même à quelque chose qui obéit ou dont il se croit obéi. Mais […] si […] nous sommes à la fois celui qui commande et celui qui obéit, et si nous connaissons, en tant que sujet obéissant, la contrainte, l’oppression, la résistance, le trouble, sentiments qui accompagnent immédiatement l’acte de volonté ; si, d’autre part, nous avons l’habitude de nous duper nous-mêmes grâce au concept synthétique du « moi », on voit que toute une chaîne de conclusions erronées, et donc de jugements faux sur la volonté elle-même, viennent encore s’agréger au vouloir. Ainsi celui qui veut croit-il de bonne foi qu’il suffit de vouloir pour agir. Comme dans la très grande majorité des cas, la volonté n’entre en jeu que là où elle s’attend à être obéie, donc à susciter un acte, on en est venu à croire, fallacieusement, qu’une telle conséquence était nécessaire. […] L’effet, c’est moi : ce qui se produit ici ne diffère pas de ce qui se passe dans toute collectivité heureuse et bien organisée : la classe dirigeante s’identifie aux succès de la collectivité.

Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 19

Autant dire que l'idée d'une capacité, en l'homme, à s'opposer à ses désirs au sens fort, c'est-à-dire l'idée d'une véritable autonomie de la volonté, est tout aussi difficile à admettre que celle d'un acte gratuit.

Par conséquent, peut-être vaut-il mieux renoncer au libre arbitre, accepter l'hypothèse déterministe et tenter de penser la liberté dans un cadre déterministe.

C. La philosophie déterministe

Spinoza est le philosophe déterministe le plus célèbre.

Pour lui, le monde est déterminé. Et l'homme n'est pas un empire dans un empire. Il n'est qu'une partie de la nature. Et par conséquent il est déterminé, comme toute chose.

Le libre arbitre n'existe donc pas. C'est une illusion. L'homme se croit libre car il ignore les causes qui le déterminent à agir et à désirer.

Reprenons notre exemple du début : je me crois libre de déplacer ma main à gauche ou à droite uniquement parce que je ne perçois pas le déterminisme à l'œuvre qui me poussera fatalement à accomplir l'un ou l'autre de ces mouvements. En réalité je ne suis absolument pas libre de cela. Il était déterminé, de toute éternité, que j'allais déplacer ma main, par exemple, d'abord à gauche puis à droite.

Pour illustrer son propos, Spinoza prend l'image de la pierre. L'homme est comme une pierre qui tombe, et qui se croit libre uniquement parce qu'il a conscience de son mouvement sans avoir conscience des causes qui le poussent à suivre un tel mouvement. Plus t**d, Wittgenstein prendre l'image d'une feuille morte tombant à terre pour illustrer la même idée.

Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit, d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre, il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu’il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait un effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent.

Baruch Spinoza, Lettre à Schuller

Toutefois, la vision déterministe des choses n'empêche nullement de concevoir une certaine liberté. Au contraire, cela nous permet de repenser la liberté et de mieux comprendre ce que nous entendons véritablement par ce mot.

1. Liberté et déterminisme ne s'opposent pas

Premier point : il n'y a pas d'opposition entre déterminisme et liberté, et ce pour plusieurs raisons :

La liberté n'est pas le hasard. Comme nous l'avons dit plus haut, la liberté n'est pas l'indéterminisme. Ce qui nous intéresse n'est pas que nos décisions soient prises au hasard, mais selon une modalité propre, qui nous convienne...La détermination n'est pas la contrainte. La liberté est l'absence d'entraves extérieures, mais non pas de toute détermination, et en particulier la liberté n'est pas l'absence de détermination intérieure. Au contraire, Spinoza définit l'acte libre comme celui qui est déterminé intérieurement.On peut même dire que le déterminisme est la condition de la liberté : pour pouvoir agir, il faut que le bras obéisse à la main ; il faut que le monde soit régulier et prévisible ; enfin pour être libre il faut être, il faut exister, il faut être quelque chose. La liberté divine de s'auto-créer est un mythe inconcevable. On ne peut parler de liberté qu'à partir d'un être donné. La facticité (être ce que je suis, tel que je suis, ici et maintenant) est la condition de la liberté.

2. Vers une nouvelle conception de la liberté

Finalement le déterminisme nous pousse à repenser la liberté.

Il nous fait prendre conscience du fait que la liberté n'est pas l'absence de toute détermination mais l'existence d'un certain type de déterminisme. Précisons deux points essentiels.

Premièrement, la liberté ne consiste pas à supprimer le déterminisme (ce qui serait complètement impossible) mais à prendre conscience des déterminismes afin d'orienter notre action en fonction de ces données. Ici le contre-exemple, le repoussoir, est la mouche : la pauvre sotte passe sa journée à butter contre la vitre qu'elle ne voit pas.

Les stoïciens nous invitent à ne pas être des mouches dans la vie de tous les jours. C'est-à-dire à accepter le destin, c'est-à-dire accepter la nécessité. Cela veut dire d'abord distinguer ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas et accepter ce qui ne dépend pas de nous.

Attention ! Il ne faut pas confondre déterminisme et fatalisme. Comme l'a bien souligné Alain, le déterminisme est en vérité le contraire du fatalisme. Selon le fatalisme, quoi que nous fassions nous subirons le même sort. Selon le déterminisme au contraire, chacun de nos actes compte et détermine notre avenir. Le monde est déterminé, mais par nous-mêmes !

Deuxièmement, dans la lignée de Spinoza, Bergson définit la liberté comme l'adhésion à soi-même. L'homme libre est celui qui est en accord avec lui-même et qui sait ce qu'il veut. L'acte libre est celui qui exprime notre personnalité profonde et dans lequel nous pouvons nous reconnaître. Par opposition, l'homme aliéné est celui qui est embrouillé, qui n'a pas tiré les choses au clair et ne sait pas ce qu'il veut ; l'acte accompli sous influence est celui qui ne nous ressemble pas et dans lequel nous ne pouvons pas nous reconnaître, car nous n'en sommes pas véritablement la cause.

Finalement, selon cette conception la liberté se conquiert par un travail de clarification opéré sur soi. On pourrait dire que pour être libre il faut suivre l'injonction de Nietzsche : « Deviens ce que tu es ! »



Conclusion

Pour conclure, il y a deux grandes manières de penser la liberté :

On peut penser la liberté à partir de la spontanéité. On verra alors dans la liberté un sentiment subjectif de faire ce que l'on veut, et on pourra être mené à penser la liberté comme libre arbitre ou comme puissance. Le fou et le sot offrent peut-être des figures percutantes de cette liberté !On peut penser la liberté comme obéissanceàlaraison. Alors la liberté n'est plus à chercher dans le hasard ou la folie, mais au contraire dans la sagesse, dans la lucidité et la conscience des nécessités du monde.

La liberté, c'est l'absence de mur. Il y a donc deux manières d'être libre : briser les murs (première solution) ou les contourner (deuxième solution). On peut concilier les deux approches : les stoïciens recommandent de distinguer les murs inébranlables des autres afin de concentrer nos coups de marteaux sur ces derniers.

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