02/07/2018
Le « délai à observer » pour le remariage valable de la femme divorcée ou v***e !
Notre société est confrontée au quotidien à la question des conditions de remariage de la femme !
La nécessité de la protection du Droit des femmes dans nos communautés devient de plus en plus urgente face à l’impérieuse nécessité de respecter les droits de l’homme et du citoyen !
En l’espèce il s’agit des cas particuliers de la femme divorcée et de la femme ayant perdu son époux c'est-à-dire la V***e ! Dans tous les cas il s’agit de la femme libérée de son mariage soit par le divorce soit par la mort de son époux.
Pour des raisons pratiques je ne traiterai pas du cas des femmes dont les maris ont disparus ou restées sans nouvelles depuis des années et qui doivent respecter les procédures de l’absence et de la disparition afin d’obtenir des jugements de décès mais mener une étude globale du délai de Viduité à l’épreuve du temps en Droit Sénégalais !
Autrement dit la problématique du sujet portera sur deux interrogations d’une part, quel est le délai à observer par la femme divorcée ou ayant perdu son époux avant de s’engager valablement dans un nouveau mariage ? Et d’autre part le délai à observer demeure - t –il pertinent en l’état actuel des avancées scientifiques et technologiques de la médecine ?
Le délai à observer par la femme divorcée ou ayant perdu son époux avant de se remarier ?
Cette question nous interpelle tous au quotidien sans distinction de religion ni d’ethnies.
Le législateur sénégalais par la LOI N° 72-61 DU 12 JUIN 1972 portant Code de la famille, modifié
a organisé le délai à observer par la femme en cas de divorce ou en cas de décès de son époux, pour pouvoir valablement se remarier.
En foi de quoi l’article 112 du Code de la Famille organise le délai de viduité et dispose que :
« La femme ne peut se remarier qu’à l’expiration d’un délai de viduité de 300 jours à compter de la dissolution du précédent mariage. Elle peut cependant limiter le délai à 3 mois en cas de dissolution du mariage par le divorce ou par annulation et à 4 mois et 10 jours après dissolution du mariage antérieur, l’enfant est présumé irréfragablement n’être pas issu des œuvres du précédent mari. Dans tous les cas, le délai prend fin par la délivrance de la femme ».
Le mariage ne prend fin que dans deux cas, soit par un fait naturel le décès du conjoint soit par un jugement suite à la volonté au moins de l’un des conjoints.
A première vue cet article parait très simple et facile à comprendre pour tous mais en réalité des éclairages s’avèrent nécessaires pour la bonne compréhension du commun des mortels.
Au terme de l’article 112 du Code de la famille, la femme doit impérativement observer un délai minimum de 3 mois et 10 jours autrement dit 30 jours X 3 + 10 jours = 100 jours pour pouvoir valablement se remarier.
Ce délai requiert tout son importance quant au fondement de cette loi ou l’objectif principal du législateur et quant aux femmes auxquelles il s’adresse ou l’étendue de l’article 112 !
Cependant en vertu de l’alinéa 1 de l’article 112, la règle serait de 300 jours soit 10 mois mais là, le législateur ne fait référence qu’à « la délivrance de la femme » avant son remariage ce qui constitue une réalité religieuse et légale.
NB : Si la grossesse est confirmée alors la règle instituée par l’article 112 du code de la famille notamment le délai de 300 jours c'est-à-dire 10 mois s’impose à la femme jusqu’à sa délivrance ou la naissance de l’enfant.
_ _ Le fondement du délai de viduité ou l’objectif principal du législateur ?
L’organisation légale de la période après divorce ou décès du mari a pour fondement d’éviter la confusion de paternité pour l’enfant qui pourrait être conçu durant ce temps, des remous jusqu’au divorce ou juste avant le décès.
Oui, le divorce est prononcé par le juge ou le décès du mari est une réalité mais le mariage même dissout continue à produire effet à l’égard de la femme divorcée ou v***e c'est-à-dire qu’il lui est interdit de se remarier avant l’expiration du délai minimum de 100 jours car au moment du prononcé du divorce par le juge ou le décès de son mari, elle pourrait être en état de grossesse difficilement perceptible à l’œil nu.
Alors pour ne pas se retrouver dans une situation délicate voire difficile à surmonter notamment pour déterminer le père de l’enfant entre l’ex mari ou défunt mari et le nouveau mari.
Remarque, l’article 112 du code de la famille parle de délai de viduité qui renvoie à la « v***e » alors qu’il s’applique aussi en cas de divorce prononcé par le juge, là il faut souligner le pragmatisme du législateur sénégalais à instaurer un règlement par analogie.
Une grossesse qui se révèle 1 voire 2 ou 3 mois après le prononcé du divorce par le juge ou après le décès du mari, ne doit pas poser en principe problème quant à la détermination du père de « l’enfant à naitre ».
Pour la femme divorcée, le père de l’enfant à naitre demeure l’ex mari sous réserve de désaveu de paternité ne pouvant être engagé que par le mari devant le juge.
Pour la femme v***e, le père de l’enfant à naitre demeure le mari décédé car dans tous les cas le mariage continue à produire ses effets extrapatrimoniaux.
_ _ L’étendue de l’article 112 du code de la famille
D’emblée la « répudiation » pratique trop courante ou « forme de divorce non acceptée par la loi » dans nos communautés n’est pas un divorce et n’a aucun effet juridique sur le mariage qui demeure valable devant la Loi et continue de produire effets à l’égard de chacun des conjoints.
Le code de la famille dans l’organisation du « délai à observer » pour le remariage, ne fait pas de distinction entre la femme divorcée et la femme v***e même s’il parle de délai de viduité dans la mesure où le législateur ne cherche qu’à éviter « la confusion de paternité » de l’enfant à naitre et conçu au moment du divorce ou du décès du mari et accessoirement les obligations de prise en charge sanitaire et autre de la femme.
Cette organisation légale de la période après divorce prononcé par le juge ou le décès du mari constitue une règle d’ordre public dont la violation pourrait entrainer la responsabilité pénale de la femme divorcée ou v***e en cas de remariage avant expiration du délai et aussi pour tous ses complices et coauteurs notamment les témoins du « nouveau faux mariage », ceux (imam, parents, témoins…) qui auraient scellé ce « nouveau faux mariage » etc.
Retenons ensemble, qu’un mariage même célébré à la maison, à la mosquée ou ailleurs demeure valable en droit sénégalais cependant le divorce ne peut être valablement prononcé que par le juge, ce ci pour permettre à l’autorité de veiller aux conséquences et de préserver les droits et obligations de chaque partie au mariage.
NB : Tout remariage fait en violation de cette règle d’ordre public est nul et non avenu et tout intéressé pourrait valablement saisir le juge, qui s’il est avéré, le déclarer nul et non avenu c'est-à-dire non existent ou comme s’il n’a jamais existé car la Loi ne saurait accepter un effet juridique à une « union » en marge de la Loi ou « deux mariages superposés » ou encore une même femme dans deux unions solennelles différentes.
_ _ Objectifs visés par l’institution du délai de viduité :
Le délai de viduité s’adresse à la femme divorcée et la femme v***e mais en réalité il protège l’ex mari ou le défunt mari mais aussi et surtout l’enfant qui pourrait naitre de la relation antérieure (sa paternité et héritage éventuel) !
1 _ Protéger les intérêts extrapatrimoniaux de l’ex mari ou du défunt mari !
Il faut reconnaitre que le code de la famille est aussi d’inspiration religieuse musulmane et canonique surtout avec l’institution du délai de viduité.
Même si un juge prononce valablement la fin d’un mariage (divorce), il se pourrait que la femme soit en état de grossesse non perceptible à l’œil nu au moment du divorce et alors l’application du délai de viduité jadis prévu en cas de décès du mari, dans cette situation relève d’un pragmatisme juridique sans commune mesure.
Cette stratégie relève de la législation dite prudentielle dans la mesure où elle s’intéresse à des hypothèses assez plausibles de la vie en commun.
Alors si ce système préventif n’existait pas, il l’aurait fallu l’inventer pour sauvegarder tous les droits extrapatrimoniaux du conjoint et des « enfants à naitre ».
2 _ Protéger les droits extrapatrimoniaux et patrimoniaux de l’enfant à naitre !
N’est-il pas abominable qu’un enfant naisse dans l’ignorance absolue de son père biologique alors qu’ils seraient tous vivants dans la même société, dans la même ville ou village ou encore dans le même quartier ?
Le droit à une famille ne serait il pas violé ? La disparition ou rupture de généalogie ne serait elle pas préjudiciable pour l’enfant ? L’organisation sociale ne serait-elle pas déstructurée avec les nombreuses confusions de paternité ? Etc.
La protection de l’infans relève de l’ordre public alors des intérêts de la société elle-même.
La maitrise de l’organisation sociale et sociétale dépend fortement de la maitrise des généalogies ou des naissances dans toute société donnée.
L’enfant à un droit fondamental : celui de savoir son père biologique dans la mesure du possible et naturellement pouvoir réclamer éventuellement l’héritage ou sa part de l’héritage !
_ Devinez ce bel exemple, d’un enfant qui serait réellement issu d’une famille bourgeoise avec toutes les possibilités de réussite sociale à sa portée et éventuellement successeur légale au trône, être déclaré issu d’une famille pauvre et sans aucune perspective réelle de réussite, simplement pour non respect du délai de viduité ayant entrainé une confusion de paternité !
L’article 113 du code de la famille renforce l’article 112 en soutenant que : « La femme ne peut contracter un nouveau mariage avant la mention sur le registre de l’état civil de la dissolution du précédent ».
II _ _ le délai de viduité demeure- t –il toujours pertinent en l’état actuel des avancées scientifiques et technologiques de la médecine ?
DURA LEX SEA LEX : La Loi est dure mais c’est la Loi, en foi de quoi l’organisation du délai de viduité par le code de la famille et obligeant la femme divorcée ou v***e d’observer au minimum 100 jours soit 3 mois et 10 jours ne saurait être violée sans conséquences pénales de son ou ses auteurs.
La dimension religieuse au sens strict du délai de viduité reste à l’appréciation des uns, des autres !
Cependant une étude critique ou analyse intellectuelle juridique s’avère stratégique en l’état des avancées scientifiques et technologiques de la médecine pour mieux sauvegarder les droits des femmes notamment l’exercice de leurs droits.
Et il faut saluer le pragmatisme du législateur du code de la famille dans la mesure où il a su prendre en charge avec satisfaction et diligence la question « de la confusion éventuelle de paternité » de l’enfant à naitre suite au divorce des parents ou décès du mari et au moment où ni la science ni la technologie n’avait de solutions fiables et incontestables pour déterminer avec précision et concision une grossesse à tout moment.
Aujourd’hui nous sommes au 21e siècle et les avancées notables de la science et de la technologie médicale doivent nous conforter dans des changements de comportements et intégrer les merveilles de la médecine qui sont d’ailleurs devenues des banalités partout dans le monde : les différents techniques de test de grossesse.
Vouloir continuer à enfermer les femmes divorcées et les v***es dans un carcan juridique, en l’espèce ce délai de viduité qui en principe ne se justifie plus en médecine sauf une portée morale (devoir de mémoire en cas de décès seulement mais en cas de divorce il n’a aucun sens) et religieuse par devoir de mémoire qui nait d’un sentiment familial très fort mais l’intérêt d’éviter la confusion de paternité ne se justifie plus.
En l’état de la science et de la technologie, certifier avec précision chirurgicale qu’une femme est en état de grossesse ou non relève d’une banalité pour les hommes de l’art.
On a même plus besoin d’attendre la délivrance d’une femme pour faire un test d’ADN sur l’enfant à naitre, pour savoir qui est son père biologique.
Alors les civilisations doivent s’approprier, évoluer, se consolider et s’enrichir des avancées scientifiques, techniques et technologiques surtout de la médecine pour une défense pragmatique et féconde des droits des femmes.
Pour des raisons diverses le législateur ne pourrait pas suivre le rythme de l’évolution scientifique et technologique mais rien n’interdit aux intéressés de faire intelligemment recours à la science pour se libérer de certaines pesanteurs.
Le divorce est en réalité la fin du bon vouloir de vie commune ou la fin des sentiments et alors quel est l’intérêt pour une femme divorcée d’observer 100 jours avant de pouvoir valablement se remarier si la science et la technologie médicale peuvent valablement certifier de son état maternel.
Voilà toute la dimension ou intérêt du pragmatisme juridique dans une étude critique de nos législations négro africaines qui ont tendance à être prisonnières de lenteurs administratives de façon générale et de vision politique peu enclin au progrès et aux changements rapides.
La loi demeure la loi, et chacun doit la respecter sous réserve de responsabilité civile ou pénale.
Nul n’est sensé ignorer la Loi mais si nous savons tous que nos lois dans certains domaines s’accommodent difficilement avant la protection de nos droits, n’est il pas plus opérant de faire appel à la science et la technologie pour mieux sauvegarder nos Droits ?
En conclusion, admettons avec force que la critique du délai de viduité n’est que juridique et tout autre volet est passé volontairement sous silence. L’état de couverture sanitaire du territoire national notamment l’insuffisance ou l’inexistence de plateau médicale dans le monde rural justifie encore toute l’importance du délai de viduité mais dans les villes son intérêt demeure que prudentielle ou sentimentale.
Je tenais juste à susciter la réflexion des uns, des autres sur la portée du délai de viduité en droit sénégalais !
Amadou Séga KEITA
Juriste-consultant
Leader du Courant Politique CERP/DD.